Exposition Zheng He, héros des mers redécouvert La Chine fête son navigateur, qui, selon certains, aurait découvert l'Amérique avant Colomb. u moment où ses entreprises tentent de partir à la conquête du monde, la Chine célèbre avec emphase la gloire d'un de ses héros méconnus : le navigateur Zheng He, dont les exploits maritimes ont précédé ceux de ses homologues européens de près d'un siècle. Ses aventures ont de quoi faire rêver les jeunes Chinois qui se pressent actuellement au Musée national de Pékin, place Tiananmen, qui consacre une exposition à l'audacieux explorateur. Une carte lumineuse montre les sept grandes expéditions qu'il a conduites, entre 1404 et 1433, à la tête de flottes pouvant atteindre 100 navires et plus de 20 000 hommes, visitant 35 pays, dans les océans Pacifique, Atlantique et Indien. Eunuque. Rien ne prédisposait Zheng He à devenir un des plus grands navigateurs de tous les temps. Né Ma He, en 1371, musulman du Yunnan, dans le sud-ouest de la Chine, il avait été castré à l'âge de 10 ans pour servir comme eunuque à la cour impériale. Il gravit les échelons de ce corps influent de serviteurs du palais pour devenir grand eunuque impérial, gagnant les faveurs d'un prince qui accédera au trône sous le nom de Yongle. Sous le règne de cet empereur, à l'apogée de la dynastie Ming (1368-1644), Ma He, rebaptisé Zheng He, devint amiral de la flotte impériale sans avoir jamais été en mer, chargé d'entreprendre des voyages exploratoires loin des côtes chinoises. Des dizaines de navires sont construits à Nankin, sur le Yangtsé, d'énormes vaisseaux, tel l'impressionnant navire amiral de Zheng He, dont la maquette géante ouvre l'exposition. Ces voyages, qui ne se sont pas accompagnés de conquêtes coloniales, ont laissé des traces en Asie. L'Indonésie a bâti des temples à sa mémoire, et Singapour vient d'organiser une exposition commémorative. Jusqu'à l'île de Lamu, au large des côtes kényanes, où les autorités chinoises ont retrouvé et invité en Chine une jeune femme présentée comme une descendante de marins chinois échoués au XVe siècle. Quel était l'objectif des voyages de Zheng He ? L'histoire officielle ne veut retenir que «le développement de l'amitié entre le peuple chinois et les peuples d'Afrique et d'Asie». Le sinologue Claude Larre, tout en soulignant que personne avant Zheng He «n'était allé aussi loin, avec autant de navires, d'hommes, pour d'aussi longs périples», préfère parler d'«aventures commerciales de grand rapport». Il raconte qu'au cours d'un de ses voyages «il mit à la raison le roi de Ceylan qui ne voulait pas donner d'or. Au quatrième voyage, même scénario à Sumatra» (1). La Chine n'a pas donné suite à ces premiers pas aventureux hors de ses frontières terrestres, laissant les Européens tirer la gloire et la richesse d'avoir «découvert» des contrées où les Chinois étaient passés bien avant eux. Pour Claude Larre, «si les entreprises commerciales de type colonial menées par Zheng He ne furent pas poursuivies, la faute en est à l'affaiblissement de la dynastie». Les propagandistes qui ont sorti Zheng He d'un oubli relatif préfèrent y voir l'absence d'ambition coloniale de la Chine. Etonnamment, l'exposition de Pékin se garde bien de reprendre à son compte la révélation controversée d'un historien britannique, Gavin Menzies, qui a affirmé que Zheng He aurait tout simplement «découvert» l'Amérique plusieurs décennies avant Christophe Colomb (2), et aurait même emprunté le détroit qui porte aujourd'hui le nom de son lointain successeur, Magellan. Menzies, un ancien officier de la Royal Navy, se base sur une carte vénitienne datant de 1424, et comprenant des indications géographiques sur la côte américaine que Colomb était censé avoir découvertes sept décennies plus tard. Après avoir cherché qui pouvait être à l'origine de ces observations, Menzies en avait conclu : «Il n'y avait qu'une seule nation, à cette époque, disposant des ressources, de la connaissance scientifique et de l'expérience maritime nécessaires pour entreprendre un voyage aussi épique. C'était la Chine.» Le problème est que la Chine a détruit ses archives maritimes lors d'un changement dynastique : «Après de telles découvertes, la Chine, loin de s'ouvrir sur le monde, a choisi de se replier sur elle-même. Tout ce qui pouvait rappeler son passé expansionniste a été expurgé de ses archives», dit-il. Posture. Pourquoi la Chine actuelle, prompte à revendiquer toute avancée scientifique susceptible de prouver à quel point elle était en avance sur l'Occident, rechigne-t-elle à épouser la thèse flatteuse de Menzies ? La réponse tient à la fois à la minceur des preuves dont dispose l'historien, mais aussi à la posture choisie pour commémorer les exploits de Zheng He : au moment où, aux Etats-Unis, on évoque une «menace chinoise», il serait peu habile de revendiquer la découverte de l'Amérique ! (1) Claude Larre, les Chinois, éd. Auzou, Paris 1998. (2) Gavin Menzies, 1421, The Year China Discovered America, Transworld Publishers, Londres, 2002.