Mort d'Yvon Bourdet

Mort Yvon Bourdet, historien et théoricien de l'autogestion Yvon Bourdet, historien et théoricien de l'autogestion, est mort à Paris vendredi 11 mars, à l'âge de 85 ans. Dès les premières lignes du récit qui ouvre son Eloge du patois (Galilée, 1997), Yvon Bourdet raconte le traumatisme que fut pour lui, fils de paysans pauvres d'Albussac (Corrèze), né en 1920, la brutale "acculturation occitane" causée par l'interdiction faite aux enfants de parler leur langue maternelle, leur "patois", dès qu'ils franchissaient le seuil de l'école de la République. Cette difficile entrée dans la vie et dans la culture laissera des blessures profondes, qu'il ravivera à partir des années 1975 en consacrant ses recherches à l'étude des minorités nationales et plus particulièrement à la revendication occitane, alors en plein essor. Tout en restant lucide et critique sur les impasses où ces mouvements sociaux risquaient parfois de se fourvoyer (celles du "micro-nationalisme mimétique" ou du "populisme anticulturel"), Yvon Bourdet organisa sa réflexion sur l'égalité politique et la "liberté des différences" autour du concept d'autogestion dont il était depuis la fin des années 1960 un des principaux théoriciens. Pour sa thèse et son entrée au CNRS - où il fit toute sa carrière, après l'agrégation de philosophie -, Yvon Bourdet fut encouragé par Raymond Aron à introduire en France les principaux théoriciens de l'"austro-marxisme" (Rudolph Hilferding, Max Adler, Otto Bauer). Largement inspiré par les précieux travaux sur Marx de Maximilien Rubel, il fut proche des revues Socialisme ou Barbarie et Arguments dans les années 1950-1960 et rejoignit en 1966, pour en devenir très vite le principal animateur, la revue Autogestion (devenue ensuite Autogestion et socialisme, puis Autogestions à partir de 1980 pour s'arrêter en 1986, lasse de courir après toutes les récupérations idéologiques de ce vocable vite dénaturé), créée par le sociologue Georges Gurvitch en compagnie de personnalités aussi différentes que Jean Duvignaud, Pierre Naville, Henri Lefebvre, René Lourau, Henri Desroche, Albert Meister ou Daniel Guérin. Curieux de toutes les formes possibles de l'autogestion vécue, des premiers kibboutzim israéliens aux mouvements communautaires et alternatifs de toutes sortes, Yvon Bourdet n'eut de cesse de penser ces expériences, de les inscrire dans l'Histoire, hors de toute appartenance partisane, sans complaisance idéologique ni mépris théorique. Croyant à la force régulatrice des utopies, attentif aux mouvements profonds de nos sociétés ("Ecoute l'herbe pousse", lui conseillait son ami Serge Mallet), Yvon Bourdet attendait beaucoup, peut-être trop parfois, de ce que Cornelius Castoriadis appelle leur auto-institution. A l'heure des cynismes triomphants, cela avait des vertus à la fois dérangeantes et rafraîchissantes.