Mort de Vincent-Mansour Monteil

Mort Vincent-Mansour Monteil, un maître de l'Ecole française d'islamologie Vincent Monteil, grand spécialiste de l'islam, qui fut militaire puis universitaire, est mort, dimanche 27 février, à son domicile parisien. Il était âgé de 91 ans. Il est donc mort le professeur inspiré, le poète shirazien, l'ami fidèle. Celui qui se convertira à l'islam sous le nom de Vincent-Mansour Monteil, et qui, des années durant, traversera le monde arabe et les pays d'islam, d'abord sous les couleurs de l'armée française, puis en tant que chercheur infatigable, a été l'un des savants les plus féconds de sa discipline et un des plus pudiques. Avec sa bienveillance d'un autre âge, son écriture translucide, ses trouvailles stylistiques et sa profonde connaissance de la psychologie arabe, Vincent-Mansour Monteil a été la fierté de la corporation, aujourd'hui en désuétude, des "ethnologues coloniaux" et des administrateurs de l'armée. De fait, la première partie de la carrière de ce brillant soldat, né le 27 mai 1913 à Bellac (Haute-Vienne), lui a permis d'arpenter les terres ocres de l'Afrique du Nord, jusqu'à Dakar où il séjourna au milieu des années 1960, et de pratiquer la plupart des idiomes du sud et de l'est de la Méditerranée, persan compris, allant jusqu'à mettre sa connaissance du dialecte local au service des autochtones eux-mêmes. RIGUEUR ET ÉLÉGANCE Mais, contrairement à d'autres chercheurs dont la carrière allait s'arrêter à l'uniforme, Vincent-Mansour Monteil embrassera, à la fin des années 1950, une deuxième carrière, universitaire celle-là, qui débouchera presque aussitôt sur une troisième - que nous lui connaissons tous -, celle d'auteur et de traducteur. En quelques années, l'officier de réserve est devenu le penseur, l'enseignant, l'écrivain. Plus de trente ouvrages à son actif, tout aussi riches et substantiels les uns que les autres. Son Islam noir (Seuil, 1982) me semble encore inégalé à ce jour, comme le sont aussi, dans un autre genre, ses belles fresques ajourées qui ont pour titre Le Vin, le Vent, la Vie d'Abû Nûwas (Sinbad, 1998) ou, autre merveilleux titre, L'Amour, l'amant, l'aimé de Hafez Shirazi (Sinbad, 1990). Les étudiants d'aujourd'hui lui doivent aussi les Prolégomènes (Al-Muqaddimah) d'Ibn Khaldûn (1332-1406), qu'il traduisit avec rigueur et élégance dès 1967. Le prénom Mansour, littéralement "Le Victorieux", a été porté, entre autres, par un grand mystique iranien, sans doute le plus emblématique de tous, Hussayn ibn Mansour al-Hallaj (857-922). Ceci explique peut-être cela. En effet, Al-Hallaj a été rendu célèbre en France par Louis Massignon (1893-1962), c'est-à-dire par l'un des maîtres à penser de l'Ecole française d'islamologie, à laquelle appartient de plein droit Vincent-Mansour Monteil. Cette filiation n'est pas gratuite, et je l'ai senti dès le premier jour où il m'avait reçu, rue Jacob, à Paris, dans son appartement gorgé de livres, lorsque nous devions mettre la dernière main à la thèse d'anthropologie que j'ai soutenue devant lui en 1982. Ce jour-là, celui que nous appelions encore Vincent Monteil m'avait parlé de Louis Massignon et de Jacques Berque. Or, dans Parole donnée, un petit livre de la collection 10/18 qui reprend un certain nombre d'articles de Louis Massignon, et que Vincent Monteil a préfacé, j'ai retrouvé cette phrase énigmatique du mystique Al-Hallaj que j'ai entendue chez mon professeur, une "phrase-clé", disait-il : "Deux prosternations suffisent dans la prière du désir, mais l'ablution préalable doit se faire dans le sang." La conversion de Vincent-Mansour Monteil restera ainsi comme "un sceau en cristal de roche" - c'est encore un mot de lui -, un secret bien gardé.