Annonce Une prime pour aimer les métiers dédaignésMille euros pour un emploi. C'est l'une des mesures phares du plan Villepin pour l'emploi, à destination des jeunes. Et qui doit répondre à une double demande : celle des patrons des petites entreprises de l'artisanat qui pleurent misère et expliquent avoir les pires difficultés à recruter. Et celle des jeunes de moins de 26 ans, parfois titulaires de diplômes de l'enseignement supérieur, et qui pourtant sont au chômage depuis plus d'un an, ou en fin de droits. Alors, contre la promesse d'un engagement dans un emploi technique de l'artisanat, ces jeunes devraient pouvoir bénéficier d'un crédit d'impôt qui serait versé après au moins deux ans passés dans leur nouvel emploi. Mais la prime, dont les modalités restent encore à définir, sera-t-elle suffisante pour attirer les jeunes qui se sont détournés, volontairement ou non, de l'apprentissage et des filières technologiques ? Et surtout, seront-ils les candidats idéaux du point de vue de ces entreprises ? «Un bon maçon, il faut trois ans de formation en alternance, explique un responsable du patronat du BTP. Je ne suis pas sûr qu'un jeune habitué à la vie étudiante soit prêt à trimer chez nous par tous les temps juste pour avoir une prime, et qu'on puisse espérer enseigner un métier dans ces conditions.» Tour d'horizon de cinq métiers «en tension», face aux recrutements à venir.Plombier: Déficit de modernitéC'était la star du référendum sur la Constitution. Frits Bolkestein, le commissaire européen au Marché intérieur, se plaignait même de ne pas en trouver pour travailler dans sa maison du nord de la France... La situation ne paraît pourtant pas aussi dramatique que prévu. Mais le moindre pic d'activité fait basculer le métier dans la pénurie. Ainsi, dans l'Yonne, ils sont 260 artisans plombiers en activité, 600 salariés dans le secteur, dont 10 % en formation. Un chiffre dans la moyenne et qui permet de répondre à la demande ordinaire. Mais il suffit que Gaz de France programme, en 2005, le raccordement de 900 clients supplémentaires au réseau pour semer la panique chez les artisans.«Les filières de formation existent à tous les niveaux, explique Jacques Maupetit, de la fédération des artisans du BTP de l'Yonne. Le problème c'est plutôt d'attirer les jeunes, ou les gens sans emploi, vers nos métiers.» Et les 1 000 euros sont au mieux «une carotte» mais ne régleront en rien les problèmes d'image et d'attrait dont souffre le métier de plombier, comme la plupart des métiers manuels.Poissonnier: La faute à l'odeurParmi les métiers de bouche, délaissés par les jeunes, voilà celui qui connaît peut-être les pires difficultés à recruter, avec la boucherie. Faute de candidats : «A moins d'être fils ou fille de poissonnier ou de marin-pêcheur, personne ne songe spontanément à cette formation», explique Michel Mouisel, du centre de formation des apprentis (CFA) de l'école Grégoire-Ferrandi à Paris. Car le poisson, ça pue. Et les jeunes se plaignent de «ne pas trouver de petite copine ou copain à cause de ça».Les arguments sont presque les mêmes pour la boucherie. «Le sang dégoûte, la mort fait peur et on a perdu cette habitude de travailler des produits animaux bruts», explique Denis Pierron, boucher dans l'Aisne. Pourtant, un poissonnier même débutant peut espérer gagner jusqu'à 1 300 euros par mois, y compris dans la grande distribution. «J'ai même vu un employeur à Rungis recruter un jeune à ce salaire, en lui offrant par ailleurs une voiture pour lui permettre de venir travailler très tôt le matin, raconte un formateur dans un CFA. Qui peut prétendre à ça ailleurs ?» De là à penser que les vocations vont fleurir... «On doit faire connaître nos métiers, aller vers les jeunes, poursuit Denis Pierron. Une fois le dégoût passé, on peut en trouver des mordus.» Rarement à bac + 2 cependant.Services à la personne: Petits salaires et grosses contraintesC'est un gisement d'emploi fantastique, selon le gouvernement. Qui table sur 50 000 emplois qui pourraient être créés dans les crèches, les maisons de retraite, chez les coiffeurs à domicile ou dans les services de portage des repas. Mais, là aussi, les vocations font défaut. A cause des salaires, qui dépassent rarement le Smic. Mais à cause aussi des contrats à temps partiel et de la difficulté de ces métiers.Exemple typique, les crèches. Dans certaines villes, les installations existent mais, faute de salariés comme à Issy-les-Moulineaux, les locaux restent fermés. Pourtant, les structures associatives, notamment, sont prêtes à recruter des jeunes non diplômés, quitte à les former en alternance. Grâce à tous les contrats aidés qui existaient jusqu'alors, comme les contrats emploi-solidarité ou les emplois-jeunes. Mais leur suppression progressive met en péril toute une voie d'accès à ces métiers pour des chômeurs sans qualification. «Notre crèche associative ne peut pas se permettre d'embaucher que des diplômés, dit Rajini Galhena, de la crèche les Zèbres de l'Atlas à Paris. Nous sommes prêts à recruter des jeunes chômeurs qui bénéficieraient de cette prime, à condition que les emplois aidés ne disparaissent pas.» Sans cet accompagnement, la prime de 1 000 euros risque de faire un bide.Chauffeur routier: La route, pas la villeUn «métier d'esclave». Quand il s'agit de recruter un chauffeur de 40 tonnes pour des longues distances, les entreprises ne connaissent pas trop de difficultés. Mais les chauffeurs de messagerie, eux, se font rares : «30 ou 40 livraisons par jour au volant d'un camion de 19 tonnes», selon une responsable des ressources humaines (RH) d'un groupe de transport, beaucoup de manutention, des embouteillages, tout ça pour un salaire proche du Smic.C'est pourtant dans ce créneau que les jeunes chômeurs pourraient espérer trouver du travail. Certaines entreprises recherchent en permanence des chauffeurs, des caristes ou des mécaniciens. Peu de qualifications sont exigées et le turnover est important. La prime de 1 000 euros pourrait aider les vocations. Mais, selon cette responsable RH, «il faudra qu'on trouve des gars vraiment motivés».Maçon: Sale et fatigant«Depuis plusieurs mois, seulement la moitié des entreprises artisanales du bâtiment qui ont cherché à recruter sont effectivement parvenues à le faire», explique une étude de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb). Au total, le secteur recherche 40 000 ouvriers qualifiés, des maçons, mais aussi des serruriers ou des charpentiers. «On cherche assez peu de manoeuvres, explique Gilles, patron d'une petite entreprise de bâtiment dans les Vosges. Il faut des qualifiés, et un jeune de 21 ans, même avec le bac, fera rarement l'affaire. Et on a peu de temps pour former les gens quand on est à la bourre sur un chantier.» L'ANPE, dans certaines régions, a décidé de demander à ses équipes de mettre le paquet pour satisfaire les demandes et faire baisser le nombre de postes en souffrance. «Mais il faut convaincre les jeunes, qui sont souvent réticents, dit un agent de Lille. Pour eux, maçon ça reste un métier sale, fatigant. Quand ils ne pensent pas que c'est un métier d'immigré.» Et imaginer une reconversion après la fac, même pour un crédit d'impôt, c'est «accepter qu'on a échoué dans ses études, poursuit cet agent. C'est dur». Et 1 000 euros n'y font pas grand-chose.
