Exposition Une exposition parisienne confronte les univers de deux légendes du dessin : le Japonais Miyazaki et le Français Moebius. Miyazaki-Moebius, deux artistes dont les dessins prennent vie Jusqu'au 13 mars au musée de la Monnaie de Paris, 11, quai Conti, Paris VIe. Rens. : www.miyazaki-moebius.com Le choc des titans, envol de superlatifs : dans les gazettes spécialisées, sur les forums du Net comme dans le dossier de presse aux accents dithyrambiques, la rencontre de Jean Giraud, alias Moebius, et Hayao Miyazaki fait se pâmer les fans des deux dessinateurs-monde. L'un est français, mais reste moins connu du grand public que l'autre, japonais et auteur de cartons internationaux comme le Monde de Chihiro ou Princesse Mononoke. Les deux partagent, malgré leurs origines géographiquement éloignées, une puissance imaginaire qui en fait des Perrault d'aujourd'hui croisés de Disney sous acide (plutôt amphés pour Moebius et ecstasy pour Miyazaki). C'est ce que montre l'exposition à la Monnaie de Paris, l'institution qui frappe les pièces et les médailles face au Louvre, curieusement embarquée dans l'aventure. Symptomatique d'une spécificité française qui, hors Angoulême et malgré l'engouement populaire, accorde moins que jamais sa place au neuvième art. C'est la force et la faiblesse de cette «première mondiale», dixit Jean-Jacques Launier, coorganisateur de l'expo avec Jean-François Camilleri, de Buena Vista International, distributeur des films de Miyazaki. Ces fins connaisseurs de l'animation tiennent leur gageure : «Derrière les images de Blueberry, l'Incal, Kiki la petite sorcière ou Mon voisin Totoro, il y a deux artistes contemporains, grands inspirateurs d'univers dans le monde entier», selon Launier. Plus difficile, en revanche, de suivre l'ésotérisme new age agaçant des textes de présentation, ou de fermer les yeux sur le côté marketing de l'opération : le dernier film de Miyazaki, le Château ambulant, déjà au firmament du box-office japonais, sort ici le 12 janvier. N'empêche, une chose ravit dans l'exposition, c'est le renversement de l'antienne qui veut que les parents révèlent le monde à leur marmaille : une visite suffit pour constater que ladite marmaille met la pâtée aux «vieux», expliquant doctement l'origine manga de tel scénario, identifiant telle séquence du medley final, un sample en images des réalisations les plus emblématiques des deux artistes. Heureusement, la confrontation des deux univers ne s'arrête pas à une comparaison du trait ou à la juxtaposition de deux carrières prolixes. Plus de 300 dessins, aquarelles, esquisses, cellulos et story-boards sont présentés, la double hélice biographique d'entrée les faisant d'emblée se croiser et se trouver autour d'une fascination réciproque. Hayao Miyazaki y rend hommage à la BD culte de Moebius, Arzach (1975), et Moebius lui rend la pareille avec Nausicaa de la vallée du vent, devenue une mascotte écolo au Japon. Moebius s'en est entiché au point d'appeler sa fille Nausicaa... Cette estime mutuelle porte l'exposition : c'est pour Moebius que Miyazaki a accepté l'invitation ­ ce qu'il avait toujours refusé, préférant mettre en avant les studios Ghibli qu'il a fondés en 1985 avec l'autre grand de la japanime, Isao Takahata (le Tombeau des lucioles). Au Japon, Miyazaki est une sorte de dieu vivant : il est Miyazaki-San, l'empereur Miyazaki. Moebius n'a jamais atteint une telle popularité, même si son influence sur le cinéma mondial est féconde. Né en 1938, Jean Giraud cartonne dès 1963 avec Blueberry, scénario western de Jean-Michel Charlier illustré sur une trentaine d'albums. Sous le pseudo de Moebius, il développe sa veine fantastique : en 1975, il est de l'aventure Métal hurlant, rencontre Jodorowski avec qui il travaille à l'adaptation de Dune et à la série l'Incal. Son imaginaire, mélange de lyrisme écolo et de noirceur messianique, le conduit au cinéma, d'abord d'animation à la française, avec le chef-d'oeuvre de René Laloux, les Maîtres du temps (1982), puis à des projets hybrides, mi-SF, mi-futuristes, participant aux décors ou scénarios de Tron, Alien, Abyss ou le Cinquième Elément. Est-il possible de partager un même imaginaire ? Miyazaki, né en 1941 (l'année de Pearl Harbor), commence comme intervalliste dès 1963, réalise en 1978 son premier dessin animé pour la télé (Conan, le fils du futur). La reconnaissance du cinéma mondial viendra sur le tard, en 2002, avec l'Ours d'or à Berlin pour le Voyage de Chihiro. Tout comme Moebius, ses sources d'inspiration sont là dès ses débuts. On le dit fasciné par les machines volantes (son oncle dirige une entreprise de construction aéronautique) et une salle entière de l'expo établit la puissance de représentation des univers aériens des deux créateurs. «Les vaisseaux sont la forme de notre conscience, dit Moebius. La forme de notre conscience est la danse du monde et le chant du ciel.» La nature est magnifiée chez Miyazaki, qui en fait un personnage central (couleurs pimpantes et douces, attention à la brise qui augmente le réalisme d'un chemin verdoyant...). Quant à l'incroyable filon des créatures hybrides, «animaux humanisés et humains animalisés», ce sont autant de formes symboliques imprégnées de la culture animiste japonaise. Chez Moebius, la métaphore d'une terre nourricière masque souvent une critique post-hippie de la course en avant technologique, la science-fiction n'étant qu'une dénonciation d'un présent industrialisé et cynique. Moebius le reconnaît : «Miyazaki traite du sous- et du surnaturel. Les génies des lieux sont émergents, sollicités, ou perturbés par les hommes. J'ai essayé de traiter ces thèmes, mais je n'ai pas le même bagage culturel.» Différents. Mais leur manière de voir le monde s'est incrustée avec la même puissance, indélébile, dans nos mémoires rétiniennes. (publicité)