Scandale Un scandale relance le débat sur l'ouverture des archives communistes Pologne : des milliers d'ex-espions démasqués sur la Toile Quinze ans après la chute du communisme, la Pologne n'en finit pas de se heurter à son passé. En diffusant sur Internet une liste de 240 000 noms d'anciens agents secrets ou supposés tels, le journaliste Bronislaw Wildstein officiant au très sérieux quotidien Rzeczpospolita a déclenché une tempête médiatique. Des dizaines de milliers de Polonais se précipitent depuis quinze jours sur la Toile pour voir si des célébrités, des amis, voire des membres de leurs familles s'y trouvent. Un responsable du portail Onet.pl a fait état de 100 000 consultations par jour, soit dix fois plus que pour les sites pornographiques. La «liste Wildstein» a été mise aux enchères. Début février, elle était cotée à 0,74 euro. Elle est aussi abondamment copiée. De petits malins y ajoutent des noms. Leon Kieres, président de l'Institut de la mémoire nationale (IPN), qui détient les registres, multiplie les mises en garde. La liste, dit-il, ne distingue pas les collaborateurs actifs, les simples indics ou les victimes de l'ancienne police politique (SB). L'affaire a pris encore plus d'ampleur lorsque le premier ministre Marek Belka n'a pas exclu la présence sur ce document d'agents encore en activité. Les propos du premier ministre ont aussitôt entraîné une nouvelle ruée sur la Toile. Le journal Trybuna s'en est ému: «Plus question d'en rire, écrit son éditorialiste. Des agents des renseignements polonais sont en danger!» A en croire le journal, «des opérations ont été suspendues, des personnes évacuées»... Le parquet général a lancé une enquête pour déterminer d'où provient la fuite. L'opinion publique est divisée. Les uns s'insurgent: «C'est dégueulasse!» tonne le vice-président de la Diète, Tomasz Nalecz. D'autres y voient «un acte salutaire». A la différence de ce qui s'est passé en Allemagne de l'Est ou en République tchèque, les autorités polonaises, dans un souci de réconciliation nationale, avaient préféré garder sous clé les registres de l'ancien régime. En revanche, une loi, dite de «lustration», oblige les hommes politiques, les magistrats et les hauts fonctionnaires à déclarer s'ils ont collaboré avec la SB. Un aveu permet en général d'éviter des sanctions. Un mensonge est en revanche puni d'une interdiction d'exercer pendant dix ans toute fonction publique. La chasse aux sorcières n'a pas été évitée pour autant, n'épargnant pas plus la droite issue de Solidarité que la gauche ex-communiste. Première victime: le gouvernement de Jan Olszewski, tombé en 1992 à la suite de la publication de la «liste Macierewicz» qui contenait, entre autres noms, celui de Lech Walesa. En 1995, le premier ministre social-démocrate Jozef Oleksy avait dû lui aussi démissionner après avoir été accusé d'espionnage au profit de la Russie. Blanchi ensuite par la justice, M. Oleksy a été contraint au début de l'année de renoncer à son poste de président de la Diète (Parlement) pour avoir menti sur son passé d'agent des renseignements communistes. En décembre dernier, des accusations semblables ont été portées contre Malgorzata Niezabitowska, militante de Solidarité et porte-parole en 1989 du gouvernement Mazowiecki. A la mi-janvier est venu le tour du chef du parquet militaire, le général Janusz Palus, traduit devant un tribunal pour avoir caché ses liens avec les anciens services secrets. A quelques mois des élections législatives et présidentielle, le «tsunami» déclenché par Bronislaw Wildstein a ébranlé la classe politique. Certains réclament une nouvelle loi sur la décommunisation tandis que, désireux sans doute d'en finir avec ce climat de suspicion généralisée, de plus en plus de Polonais – 43% selon un sondage réalisé en janvier– souhaitent aujourd'hui l'ouverture complète des archives de l'ancienne police politique.