Projet Un Colosse plane sur RhodesLa reconstruction d'une des sept merveilles du monde fait débat sur l'île.a plaisanterie de Michalis amuse les commerçants de la vieille ville. «Pourquoi les priver ? De toute façon, la plupart des étrangers pensent qu'il est toujours debout !», promet ce restaurateur de la rue Socratous. Le long des allées médiévales aujourd'hui bardées de drapeaux grecs et d'échoppes à touristes, tout le monde approuve. Question d'orgueil et nécessité économique. Non pas que Rhodes manque de richesses naturelles : ses remparts construits par les chevaliers de Saint-Jean ont été classés par l'Unesco et ses kilomètres de plages ont séduit 1,7 million de visiteurs l'an dernier. Mais la statue mythique détruite en 226 av.J.-C fait toujours rêver.Hôtels. «Notre patrimoine se réduit aujourd'hui à des hôtels et des stations balnéaires de plus ou moins bon goût, s'inquiète Georges Georgas, un hôtelier installé à Rhodes depuis 1965. On a créé l'une des sept merveilles du monde et l'île a compté jusqu'à 3 000 statues dont il ne reste rien. Alors, quand j'ai entendu parler du projet de Nikos Kotziamanis, j'ai tout de suite adhéré.» Ce sculpteur chypriote en rêve depuis quinze ans : «Imaginez une statue de 33 mètres, majestueuse et oecuménique, le bras et la flamme tendus vers le monde, s'emballe l'artiste aujourd'hui installé à Londres. C'est Andréas Papandréou, l'ancien Premier ministre grec, qui m'a soufflé l'idée de faire revivre le Colosse.»Après plusieurs mois d'études historiques, géographiques et même sismiques, le sculpteur avait proposé une maquette au maire de Rhodes en 1998. Elle ressemblait à la statue de la Liberté, mais c'est normal : Bartholdi s'était justement inspiré de la représentation du Colosse. L'original, tombé et démantibulé après le séisme de 226 avant J.-C., n'est resté debout que cinquante-six ans. L'artiste, Charès de Lindos, l'avait érigé pour célébrer l'unité de l'île. Kotziamanis, lui, voulait dévoiler sa version à la veille des Jeux olympiques de 2004 pour «fédérer l'Europe et le monde». Le sculpteur avait même monté un business plan avec l'appui de la banque Lloyd's : avec plus d'un million de visiteurs attendus, à raison de 10 euros l'entrée, le coût du projet, estimé à 30 millions d'euros, pouvait être amorti en deux ans.Sulfureuse. Mais la municipalité tergiverse. Le temps passe. L'artiste croit l'idée enterrée jusqu'à ce que Iannis Iatrides, le maire de la commune de Faliraki, lui propose un terrain à 10 kilomètres de la capitale. La réputation sulfureuse de cette station, essentiellement renommée pour les débordements éthyliques de ses vacanciers anglais, ne l'effraie pas. «On peut construire la statue et son centre culturel d'ici à six ans», assure le sculpteur.Des prévisions bien optimistes. Sur l'île, le débat gronde. «Il y a trop de choses qu'on ignore sur le colosse. Beaucoup l'imaginent avec les jambes écartées à l'entrée du port, alors que c'était impossible à l'époque au regard de sa taille, tempête Maria Kolla, chercheuse au département antiquités du Musée archéologique de Rhodes. On ne sait même pas où il se trouvait exactement. J'ai peur qu'on fasse quelque chose de mauvais goût et de scientifiquement discutable.»Elle réfute pourtant toute hostilité de principe et rappelle qu'on a bien reconstruit la bibliothèque d'Alexandrie. «Ceci dit, une statue de 33 mètres, c'est assez banal de nos jours. Il faudrait que ce nouveau Colosse soit éblouissant, et construit avec l'appui d'un groupe scientifique.» Georges Barboutis, responsable du secteur touristique à la chambre de commerce du Dodécanèse, est plus pragmatique. Selon lui, seule une oeuvre très contemporaine, «limite futuriste», peut relancer le tourisme. «Plutôt qu'une simple réplique, on doit proposer un projet inspiré de l'original, mais avec une vraie gageure technologique», analyse-t-il. Sans le nommer, voilà qui semble mettre Kotziamanis sur la touche. D'autant que le maire de Faliraki a lui aussi retourné sa veste. «Où que cela se fasse, je serai content», déclare l'embarrassé.En mars, la chambre de commerce a évoqué un concours international. Libération a ainsi appris à Nikos Kotziamanis qu'il devrait sans doute s'aligner face à d'autres artistes. Un brin vexé, le sculpteur réserve sa réponse. «Je suis un démocrate, mais ça me gênerait de concourir avec des artistes qui voudraient juste se faire un nom.» Pour lui comme en 252 avant J.-C. , il en va de la grandeur de la Grèce. «Si la tour Eiffel s'effondrait, est-ce que les Français toléreraient qu'un étranger la reconstruise ?»
