Découverte Un codex copte du IIIe siècle, publié aux Etats-Unis, éclaire le rôle de Judas dans l'histoire chrétienneFaut-il réhabiliter Judas ? Depuis deux mille ans, le nom de Judas Iscariote - l'apôtre de Jésus-Christ que les Evangiles présentent comme le félon qui aurait vendu son maître aux Romains pour 30 pièces d'argent - symbolise la traîtrise. Mais un manuscrit en copte dialectal, retrouvé dans le désert égyptien au début des années 1970, dont une traduction a été publiée, jeudi 6 avril à Washington, par la National Geographic Society, pourrait conduire à rectifier la "légende noire" de Judas.Restaurer et dater ce manuscrit resté caché dans le désert de Haute-Egypte, près de Mynia, pendant plus de mille six cents ans, et conservé grâce à la sécheresse a été en soi un exploit scientifique. Ce codex compte 66 feuilles de papyrus et contient un exemplaire du fameux "Evangile" apocryphe (non reconnu par les Eglises) de Judas (26 feuilles).Depuis sa découverte il y a plus de trente ans, il est passé entre les mains de plusieurs antiquaires, en Europe et aux Etats-Unis, et il tombait en morceaux. La restauration, engagée en 2001 par la Fondation Maecenas de Bâle (Suisse) et la National Geographic Society, a consisté à reconstituer un puzzle de près de 1 000 pièces.Cette restauration a été accompagnée d'examens visant à authentifier l'historicité du document. L'analyse au carbone 14 - menée sur cinq minuscules échantillons par le laboratoire de l'université d'Arizona, qui avait déjà daté les rouleaux des manuscrits la mer Morte - a livré une datation située entre les années 220 et 340.Les travaux menés sur l'encre et les études spectrographiques du papyrus n'ont montré aucune discordance avec les données connues sur les matériaux employés aux IIIe et IVe siècles. Enfin, l'analyse paléographique du texte, effectuée par Stephen Emmel, professeur d'études coptes à l'université de Münster (Allemagne), a rapproché le graphisme du texte avec celui d'autres écrits datant environ de l'an 400.Ce document copte, ainsi authentifié et daté, ne constitue pourtant pas une révolution dans la connaissance des origines chrétiennes : l'existence d'un Evangile de Judas en langue grecque est connue depuis longtemps. Dès 180 après J.-C., l'évêque Irénée de Lyon combat cet Evangile apocryphe dans son fameux traité Contre les hérésies. Les savants en fixent même la rédaction au début du IIe siècle (entre 130 et 170) et l'attribuent à un groupe gnostique, celui des Caïnites (de Caïn, la figure biblique). Le manuscrit copte restauré est donc une copie et une traduction de cette version grecque plus ancienne.Grâce à lui, la connaissance de l'"Evangile de Judas" devrait pourtant progresser. Les expressions du manuscrit copte déjà déchiffrées et traduites laissent entendre que la relation entre Jésus et Judas aurait été plus positive que celle que rapportent les Evangiles officiels. Selon les révélations de la revue National Geographic, le Maître aurait dit à Judas : "Tu les surpasseras tous. Tu sacrifieras l'homme qui m'a revêtu." Jésus aurait consenti à la trahison de Judas et prévenu : "Tu seras stigmatisé par les autres générations."Ce sont là des mots typiques de la littérature gnostique du IIe siècle, celle qui a inspiré les Evangiles apocryphes ("cachés"), comme celui dit "de l'apôtre Thomas", celui de l'apôtre Pierre ou de Marie-Madeleine, qui a fait la fortune du Da Vinci Code. Les gnostiques étaient ceux qui prétendaient que la connaissance ("gnose") de Dieu ne pouvait être réservée qu'à un nombre limité d'initiés et réinterprétaient librement les écritures juives et chrétiennes.PARENTÉS TROUBLANTESLes gnostiques aimaient "retourner" les personnages qui symbolisent le Mal, comme Caïn, Hérode, Thomas l'incrédule ou Judas. C'est ce que rappelle Rodolphe Kasser, ancien professeur de coptologie à l'université de Genève, interrogé sur cette découverte par le mensuel Le Monde de la Bible. Et il met en garde contre tout emballement visant à une révision du rôle de Judas : cet Evangile de Judas est "une interprétation postérieure imaginée au IIe siècle. Vous ne trouverez, dans le document copte, aucune information historique nouvelle sur le véritable Judas." Voilà qui réduit la portée du "scoop mondial" du National Geographic !Rappelons que les Evangiles apocryphes sont des textes que n'a pas retenus la tradition de l'Eglise, pas forcément par dissimulation, mais simplement parce qu'ils ont été rédigés et connus tardivement. Il existe pourtant des parentés troublantes entre ces textes et ceux des seuls quatre Evangélistes officiels - Marc, Matthieu, Luc et Jean - connus dès le Ier siècle.
