Annonce "Ultra Peau" au Palais de Tokyo : paradoxes du mécénat contemporain L'exposition a vaguement des allures de temple new age, ou de boîte de nuit de la banlieue new-yorkaise : bienvenue dans l'espace "privatisé" du Palais de Tokyo. Dévolu aux partenaires privés, ce premier étage de l'institution parisienne accueille, comme chaque année, les oeuvres des étudiants du Pavillon, école d'art intégrée au palais. Mais cette exposition, intitulée "Ultra Peau", ne ressemble guère aux précédentes. Suscitée par la marque Nivéa (apparemment très satisfaite de son soutien récent à l'exposition "Notre histoire", consacrée aux jeunes artistes français), elle condense tous les paradoxes du mécénat contemporain. Sur les conseils du fabricant de cosmétiques, la peau est à l'honneur, dans tous ses états. Le budget ? On le devine confortable, mais il demeure caché. Les oeuvres ? On les entraperçoit, plus qu'on ne les admire, derrière d'élégants hublots. Echo, sans doute, à ces globules de lumière qui balaient l'omniprésente scénographie. Ultra Peau Palais de Tokyo, 13, avenue du Président-Wilson, Paris-16e. Mo Iéna. Tél. : 01-47-23-38-86. de 4,5 € à 6 €. Du mardi au dimanche, de midi à minuit. Jusqu'au 21 juin. www.palaisdetokyo.com [-] fermer Egalement invités, les artistes des anciennes promotions du Pavillon ont marqué une certaine résistance au projet et réclamé de pouvoir offrir aux salariés la somme que l'entreprise réservait à la production de leurs oeuvres. Le dialogue s'est engagé autour d'une question : "Que souhaiteriez-vous voir amélioré dans votre quotidien chez Nivéa ?" Ainsi est née une "piscine d'herbe" dessinée sur la terrasse de leur lieu de travail, avec transat et parasol. Cette initiative, sans doute la plus intéressante, n'est hélas guère mise en valeur dans l'exposition. Quant aux vidéos, variations libres sur la thématique de l'épiderme réalisées par les étudiants mais aussi leurs maîtres (Ange Leccia, Jean-Luc Vilmouth...), c'est allongé qu'on les contemple. Position pas désagréable. Au risque de s'assoupir... Et cette odeur qui embrume le visiteur dès l'entrée ? On jurerait qu'elle émane du fameux petit pot de crème rond et bleu. Mais la directrice de communication du palais, Sofiane Le Bourhis, promet qu'il ne s'agit que d'une illusion : "Certains artistes ont travaillé sur des odeurs, celle de la peur, ou du désir, mais certainement pas celle de la crème", assure-t-elle. Une odeur subliminale, sans doute. Plus qu'un jugement esthétique, cette exposition appelle une interrogation sur l'impact du financement privé sur la programmation des lieux d'art. Depuis sa naissance, le palais tire la moitié de ses revenus de mécènes (d'Audi à Hugo Boss, pour ne citer que les derniers arrivés). "Pour nous, ce mode de financement est loin d'être une contrainte, mais bel et bien une chance, plaide Sofiane Le Bourhis. Même s'il engendre parfois quelques dommages collatéraux." Allusion, sans doute, à la rencontre entre Ushuaïa TV, partenaire de "Notre histoire", et de jeunes artistes participant à cette exposition. Quand l'un est invité à réagir en direct à la naissance d'un bébé léopard, l'autre se voit sommé de répondre à la question : "Si demain vous étiez élu président de la Terre, quel serait votre premier geste pour l'environnement ?" On leur pardonnera d'avoir quelque peu bafouillé... "STRATÉGIE ANTIGHETTO" Le service communication préfère voir le côté positif des choses : "Susciter des rapports entre l'art et l'entreprise nous pousse à inventer des situations nouvelles. Cela nous permet de plonger l'art dans la société civile, de rapprocher deux mondes qui ne se parlent jamais. Cela fait partie de notre stratégie anti-ghetto. Tous les moyens sont bons pour créer un chemin vers l'art, c'est notre mission de service public." Avec ce paradoxe : avoir besoin du privé pour y parvenir. Le label bleu suffirait donc à attirer des visiteurs novices ? "Notre fréquentation quotidienne a doublé depuis l'ouverture d'"Ultra Peau". Parce que ce thème est universel." Et, peut-être, parce que tous les magazines féminins en ont fait la promotion. C'est ce que l'on appelle, en marketing, un "deal win-win" : "Nivéa trouve une occasion de modifier le regard des gens sur la peau ; quant aux artistes, ils sont enfin considérés comme aussi créatifs que les créatifs, c'est une évolution très positive. Aujourd'hui, plutôt que de faire appel à une agence de publicité ou d'événementiel, les entreprises songent de plus en plus à recourir aux plasticiens ; elles vont directement à la source." On aurait ainsi vu de hauts dirigeants de Coca-Cola venir s'abreuver d'idées nouvelles à "Notre histoire", sur les conseils de leur patron. "Le problème essentiel du management aujourd'hui est son incapacité à renouveler les idées, à anticiper. Qui, mieux qu'un artiste, peut apporter cela ? L'art, c'est l'ouverture du champ des possibles." Avant, pour stimuler l'esprit d'équipe et l'imagination, on faisait du saut à l'élastique. Aujourd'hui, on va au Palais de Tokyo.