Crise Ukraine: face à face entre l'opposition et le pouvoir Le parlement ukrainien a tenu, mardi 23 novembre une session extraordinaire sur l'élection présidentielle controversée de dimanche. La séance a eu lieu en présence de seulement 191 députés ukrainiens sur 450, un nombre insuffisant pour voter une résolution annulant les élections. L'opposition a cependant proclamé son chef de file, Viktor Iouchtchenko, président de l'Ukraine, lors de cette séance au Parlement. Les manifestations de protestation ont pris de l'ampleur dans les rues, avec plus de 200 000 personnes réunies dans les rues de Kiev et Lviv. De son côté, le pouvoir a déployé ses forces anti-émeutes. Mardi soir, opposition et pouvoir se faisaient face à face. La contestation de la victoire controversée du candidat pro-russe du pouvoir Viktor Ianoukovitch à la présidence a pris de plus en plus d'ampleur mardi en Ukraine. Viktor Iouchtchenko, le candidat de l'opposition qui s'estime vainqueur de l'élection, a appelé mardi soir les forces de l'ordre à passer du côté de l'opposition lors d'un discours prononcé devant plus de 100 000 manifestants à Kiev. "J'en appelle à tous les fonctionnaires, aux officiels. Mes chers compatriotes, vous vivez dans le mensonge, ils vous disent que le président Iouchtchenko vous chassera de votre travail", a déclaré M. Iouchtchenko. "Policier honnête de Titan ou d'Alpha (forces spéciales de police), enseignant honnête, médecin honnête, fonctionnaire honnête, l'Ukraine a besoin de vous. Passez de notre côté", a-t-il ajouté. Il a également demandé aux forces de l'ordre de ne pas intervenir pour disperser les manifestations. Réagissant à ces propos, plus de cent cinquante diplomates ukrainiens, dont le porte-parole officiel du ministère des affaires étrangères, ont reconnu la victoire de M. Iouchtchenko à l'élection présidentielle de dimanche, selon un communiqué reçu mardi par l'AFP. Une proche de Viktor Iouchtchenko, Ioulia Timochenko, dirigeante d'une faction parlementaire, a exhorté mardi des dizaines de milliers de manifestants à marcher sur les principaux bâtiments de la présidence à Kiev. "Nous allons nous rendre à l'administration présidentielle de manière pacifique, sans rien détruire. Et ou bien ils nous donneront leur pouvoir, ou bien nous le prendrons", a-t-elle déclaré. En début de soirée, les manifestants ont commencé à se déplacer vers la présidence ukrainienne qui est sous bonne garde. Les forces de l'ordre auraient repoussé les manifestants. En effet, de son côté le pouvoir a mobilisé ses troupes et ses partisans. Des centaines de membres des forces spéciales anti-émeutes ont pris position mardi dans les rues entourant le siège de la présidence ukrainienne après que l'opposition eut appelé ses partisans à marcher sur le bâtiment, ont rapporté des témoins. Par ailleurs, les mineurs de la région du Donbass (est de l'Ukraine) se disent prêts à marcher sur Kiev pour soutenir le vainqueur controversé de la présidentielle ukrainienne Viktor Ianoukovitch, a indiqué mardi soir le président du syndicat ukrainien des mineurs, Viktor Tourmanov, cité par l'agence Itar-Tass. "Après les actions de provocation de l'opposition, qui a cherché à installer au pouvoir le perdant de la présidentielle Viktor Iouchtchenko, nous, nous avons l'intention de partir pour Kiev pour soutenir la loi et le pouvoir", a déclaré M. Tourmanov. Il a par ailleurs accusé l'opposition d'"hystérie", et d'avoir organisé "un pogrom au Parlement" en proclamant mardi M. Iouchtchenko "président". En effet, plus tôt dans la journée, l'opposition a obtenu que le Parlement tienne mardi 23 novembre une séance extraordinaire sur l'élection présidentielle controversée de dimanche, remportée par le premier ministre pro-russe Viktor Ianoukovitch selon les chiffres de la commission électorale centrale. Viktor Iouchtchenko a déclaré que le Parlement était le seul à pouvoir régler la crise en Ukraine. Mais la séance s'est déroulée mardi en présence de seulement 191 députés ukrainiens sur 450, un nombre insuffisant pour voter une résolution annulant les élections. Le députés pro-présidentiels, majoritaires, ont boycotté la séance. Au moins 226 voix sont nécessaires au Parlement pour voter toute résolution. Ouvrant les débats, le président de l'assemblée, Volodimir Litvin, a déclaré aux députés: "Nous nous dirigeons vers le gouffre. Il serait immoral et criminel de prétendre que rien ne se passe dans le pays. Il faut que nous agissions en temps voulu, faute de quoi le peuple décidera à notre place demain." IOUCHTCHENKO PROCLAMÉ PRÉSIDENT PAR L'OPPOSITION L'opposition a proclamé Viktor Iouchtchenko président de l'Ukraine, lors de cette séance au Parlement a déclaré à la tribune la députée Ioulia Timochenko. "Nous proclamons aujourd'hui Viktor Iouchtchenko président de l'Ukraine et il commence à prendre ses fonctions dès aujourd'hui", a déclaré Mme Timochenko sous les applaudissements des députés. Viktor Iouchtchenko a ensuite "prêté serment" devant des députés qui l'avaient "proclamé" président de l'Ukraine. Les députés se sont séparés sans prendre de décision sur la crise politique née de la contestation des résultats officiels accordant la victoire au candidat prorusse, le premier ministre Viktor Ianoukovitch. Par ailleurs, Volodimir Litvin a refusé "l'investiture" de M. Iouchtchenko déclarant qu'il ne fallait pas "provoquer le peuple". L'opposition reste donc très fortement mobilisée face au pouvoir. Plusieurs dizaines de milliers de manifestants s'étaient déjà réunis lundi sur la place de l'Indépendance à Kiev, où l'opposition a érigé quelque deux cents tentes et où plusieurs milliers de personnes ont passé la nuit. Lundi, M. Iouchtchenko, acclamé en tant que "président élu", y avait appelé ses partisans à ne pas quitter la place "jusqu'à la victoire". Une autre manifestation importante, réunissant également une centaine de milliers de personnes, se déroulait parallèlement mardi à Lviv, bastion des nationalistes de l'ouest du pays, pour réclamer que M. Iouchtchenko soit reconnu "président de l'Ukraine". L'assemblée municipale de Lviv, une ville de 800 000 habitants, ainsi que celles de Loutsk, Khmelnitski, Ivano-Frankivsk et Vinnytsia, quatre villes situées dans la partie orientale du pays, ont refusé de reconnaître la victoire de M. Ianoukovitch et proclamé M. Iouchtchenko vainqueur. L'assemblée de Kiev a pour sa part refusé de reconnaître les résultats du scrutin de dimanche, jugé non démocratique par les Occidentaux. Le président russe Vladimir Poutine a cependant félicité M. Ianoukovitch pour sa victoire "convaincante". De son côté, le vainqueur controversé de la présidentielle Viktor Ianoukovitch a appelé les Ukrainiens lundi soir dans une allocution télévisée à "rester unis". Les assemblées municipales de Loutsk et Khmelnitski, deux chefs-lieux de régions de l'ouest de l'Ukraine, ont refusé mardi de reconnaître la victoire controversée du candidat pro-russe Viktor Ianoukovitch, emboîtant le pas à trois autres villes de la région, a rapporté Interfax. sb/via/lmt Les manifestants de Kiev et de Lviv réclament notamment l'annulation du scrutin dans les régions de Donetsk et Louhansk (est), places forte de M. Ianoukovitch où, selon l'opposition, il y aurait eu des fraudes massives, illustrées par des taux de participation annoncés extrêmement élevés. Des électeurs ont voté jusqu'à "40 fois" lors de l'élection présidentielle en Ukraine, a affirmé mardi sur Europe 1, Thijs Berman, eurodéputé néerlandais et observateur international lors du scrutin, dont il a par ailleurs dénoncé les fraudes. LECH WALESA PRÊT À JOUER LES MÉDIATEURS Le déroulement du scrutin et son résultat sont en fait largement critiqués par la communauté internationale à qui Viktor Iouchtchenko a lancé mardi un appel mardi, en demandant "aux parlements et nations du monde" de le reconnaître en tant que "nouveau président de l'Ukraine". L'appel est signé également par les alliés de M. Iouchtchenko, Ioulia Timochenko, Alexandre Moroz et Anatoli Kinakh. "Nous constatons une falsification grossière des résultats de l'élection, qui a influé considérablement sur la désignation du vainqueur. La commission électorale centrale, qui s'est faite exécuteur de la volonté de l'administration, a volé la victoire au candidat populaire Viktor Iouchtchenko", affirment-ils. Viktor Iouchtchenko a également demandé mardi son soutien au chef historique du syndicat polonais Solidarité et prix Nobel de la Paix Lech Walesa, et l'a invité à se rendre à Kiev. "Je suis convaincu que votre arrivée à Kiev à un moment exceptionnel pour mon pays donnera des forces nouvelles au mouvement de l'opposition et nous inspirera à continuer la lutte pour la victoire finale de la démocratie", écrit M. Iouchtchenko dans une lettre adressée à l'ancien président polonais. Dans une réponse officielle, Lech Walesa s'est déclaré "prêt à se rendre en Ukraine et y servir de médiateur". "Aujourd'hui, je ne peux vous conseiller que d'appliquer des méthodes pacifiques pour réduire les risques de tragédie possibles dans une telle situation", a souligné M. Walesa. Dès lundi, le premier ministre néerlandais, Jan Peter Balkenende, dont le pays exerce la présidence tournante de l'Union européenne, a fait part au président du parlement ukrainien, Volodymir Litvine des "doutes" de l'Union européenne sur le résultat des élections présidentielles en Ukraine, a indiqué son porte-parole. L'envoyé du président américain George W. Bush en Ukraine, le sénateur Richard Lugar, avait lui aussi dénoncé lundi de vastes fraudes commises sous la direction ou avec la complicité du pouvoir. Mardi, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) a, à son tour, manifesté son inquiétude et a expliqué prendre les événements en Ukraine "très au sérieux". "Nous surveillons les événements de très près avec nos actionnaires", a déclaré M. Lemierre, président de cette banque internationale chargée des pays de l'Est, dont le siège est à Londres. La BERD est l'un des premiers investisseurs en Ukraine, avec des investissements totaux de 1,2 milliard d'euros dans le pays au 31 décembre 2003. M. POUTINE REVIENT SUR SES FÉLICITATIONS Les sérieuses réserves exprimées par l'Union européenne mais aussi par l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) à propos du déroulement du scrutin présidentiel de dimanche ont été qualifiées d'"inadmissibles" par le président russe Vladimir Poutine. "Il n'est pas acceptable de donner des leçons à l'Ukraine", a déclaré à Lisbonne le président russe, qui a invité les observateurs de l'OSCE à faire preuve de "plus de précaution et de responsabilité". Le ministèredes affaires étrangères russe a enfoncé le clou, en accusant dans un communiqué l'Union européenne d'"encourager ouvertement l'opposition (ukrainienne) à des actions illégales et violentes" par ses appels à un "réexamen du résultat de l'élection" présidentielle. Le président russe est toutefois revenu sur ses félicitations au candidat pro-russe à l'élection présidentielle ukrainienne, Viktor Ianoukovitch, en soulignant "qu'aucun résultat n'a été officiellement proclamé". "Nous ne pouvons ni reconnaître les résultats, ni protester contre eux, parce qu'aucun résultat n'a été officiellement proclamé", a déclaré M. Poutine devant la presse au cours de sa visite au Portugal, ont rapporté les agences russes.