Annonce Turin 2006. Patinage de vitesse. Sacré sur 1000 m, l'Afro-Américain Shani Davis avait refusé de participer au relais, provoquant une polémique dans son pays. Malaise américain autour du premier or noir des JO d'hiver Sûr qu'ils reviendront, les milliers de Néerlandais qui remplissent à 80 % l'Ovale turinois, théâtre depuis le début de la quinzaine olympique des épreuves de patinage de vitesse. Ils feront claquer les fanfares ­ Volare à plein volume et se lèveront sans amertume pour applaudir un Américain ; l'un de ceux qui enfoncent les patineurs orange au fond des podiums. Le Texan Chad Hedrick avait remporté le titre sur 5 000 m le week-end dernier. Samedi, c'est le Chicagoan Shani Davis, 23 ans, qui a claqué le 1 000 m, «THE distance», comme on dit outre-Atlantique. L'Ovale est orange, mais ses entrailles sont bleu nuit, comme la combinaison des patineurs des Etats-Unis. Surjouer les Atrides. Depuis le début des Jeux, toute la presse américaine vient pour Hedrick, le bon mec, l'Américain bien tranquille venu à Turin pour égaler le record d'Eric Heiden à Lake Placid en 1980 : cinq fois l'or sur 1 000 m, 1 500 m, 5 000 m, 10 000 m et poursuite. Le truc, c'est qu'Hedrick est planté depuis mercredi et l'échec du relais américain lors de la poursuite, parce qu'un patineur ne l'a pas disputé pour ne pas obérer ses chances en individuel. Ce traître, ce type sans loi «qui attente à l'esprit olympique» (un observateur américain), il se trouve que c'est Davis. Hedrick : «Ce relais, je le devais à mon équipe et à mon pays.» Après sa victoire samedi, Davis n'a pas eu un regard pour ses compatriotes. Il est parti fêter ça devant un kop orange, avant d'enlacer le Néerlandais Erben Wennemars, 3e. Ensuite, il est parti affronter une presse américaine à la fois disposée à surjouer les Atrides ces patineurs cousus d'or qui se déchirent sur l'Olympe ; et gênée par le politiquement correct : Davis est le premier Afro-Américain à décrocher une médaille d'or individuelle lors des Jeux d'hiver. Le gaillard prend place. Les yeux mi-clos, qui se plissent encore un peu plus quand il sourit. «Je crois que la pire expérience qu'il m'a été donné de vivre dans ce sport, c'est d'être dans ce milieu-là. Je veux dire : ce n'est ni le basket, ni l'athlétisme. Un Afro-Américain champion olympique sur grande piste, c'est comme crever un plafond.» Malaise. «Vous me parlez du relais ? OK. Mettons que les Etats-Unis déclarent une guerre. Il y a ceux qui partiront se battre et ceux qui diront : "Non, je n'y vais pas." Je ne vois pas pourquoi les seconds seraient moins patriotes que les premiers. Ils servent leur pays autrement, en travaillant et en payant des impôts, par exemple. J'ai fait du short track et je peux dire : voilà un sport collectif. Je dis aussi : le patinage de vitesse est un sport individuel. Rien n'était organisé autour de ce relais ; on ne nous a jamais réunis même deux jours pour bosser ce truc. Quand vous vous mettez en route, il faut les godasses aux pieds.» Voilà pour la première salve. La deuxième fut brève, électrique : «Les gens disaient qu'ils voulaient que je tombe et que je me casse une jambe, ils utilisaient le mot qui commence par "N" (il veut dire Nigger, Négro).» Ceux qui lui faisaient face ont relancé sévère, à plusieurs reprises. Davis a répondu évasivement, se réfugiant dans une posture qu'on devine plus naturelle : celle d'un type timide, tenté de jouer avec des trucs qu'il sait ne pas maîtriser. Le Chicagoan souffre. Ce patineur unique, champion du monde junior en short track et sur longue piste à 17 ans, s'est fait virer de sa sélection en 2005 pour avoir refusé de remplacer sur sa tenue son sponsor personnel une banque néerlandaise par celui de l'équipe américaine. Il a trouvé refuge à Calgary (Canada), où il s'entraîne avec ses «vrais amis». Le coach américain : «Je ne parle plus de Davis, je ne veux pas d'histoire avec lui.» Le salaud de l'histoire. Samedi, l'intéressé a dû monter au front pour ne pas se laisser enterrer par son compatriote Joey Cheek (2e), qui expliquait, dans un anglais suave, reverser toutes ses primes olympiques «à des organisations qui s'occupent des petits enfants du Soudan». A cet instant, Davis opinait du chef de façon un peu forcée, comme s'il avait éprouvé le besoin de ne pas passer pour le salaud de l'histoire. Le Néerlandais Erben Wennemars, médaille de bronze, était passé avant eux. Il avait parlé de Davis : «Je le connais très bien, car il patine souvent aux Pays-Bas. Il me souhaite toujours bonne chance avant les courses, il est d'ailleurs le seul. Je l'ai entendu parler de la difficulté d'être un patineur noir. Moi, j'ai toujours vu un type qui patine depuis ses 6 ans, un type comme nous. A part ça, Davis est la crème des mecs : ouvert, gentil, avec des conversations passionnantes.» envoyé spécial à Turin