Élection "Troisième tour" électoral sous intense supervision en Ukraine Le "troisième tour" de l'élection présidentielle ukrainienne se joue, dimanche 26 décembre, cinq semaines après le deuxième, annulé en raison des fraudes massives auxquelles avait recouru le candidat du pouvoir Viktor Ianoukovitch, et qui avaient provoqué la "révolution orange". Une armée de 12 000 observateurs internationaux s'est déployée à travers le pays pour éviter la réédition de ce scrutin truqué qui, par contrecoup, a porté sur le devant de la scène l'ancien premier ministre Viktor Iouchtchenko. Ce dernier semblait avoir le vent en poupe dans les sondages, mais M. Ianoukovitch a clairement exprimé sa volonté de contester une éventuelle victoire de l'opposition. La situation en Ukraine est devenue objet de friction entre les Etats-Unis et la Russie, ancienne puissance tutélaire de Kiev. Kiev de notre envoyé spécial Jacek a enlevé son écharpe orange. Ce jeune Polonais, animateur des manifestations de soutien à l'opposition ukrainienne, se doit d'observer une certaine neutralité, même si son cœur penche en faveur de Viktor Iouchtchenko. Dimanche 26 décembre, il fait partie de ces milliers d'observateurs internationaux venus superviser le "troisième tour" de l'élection présidentielle, organisé à la suite de l'annulation du précédent vote en raison des fraudes massives perpétrées par l'équipe du candidat du pouvoir, le premier ministre Viktor Ianoukovitch. Aux vieux routiers des missions électorales se sont ajoutés des volontaires formés à la hâte qui se sont abattus sur l'Ukraine comme un nuage de sauterelles. La police des frontières ukrainienne leur a même aménagé une file réservée à l'aéroport de Kiev. La mobilisation est sans précédent, malgré un calendrier électoral peu favorable en pleine période de fêtes. Jacek a prévu de suivre la messe de minuit dans l'est du pays plutôt qu'en famille à Varsovie. "Nous avons été choqués par les falsifications du deuxième tour. Il est de notre devoir d'essayer d'éviter que cela ne se reproduise", explique-t-il. Dimanche, ce sont ainsi plus de 12 000 volontaires internationaux, (contre 5 000 le 21 novembre), dont 80 Français recrutés par le ministère des affaires étrangères, qui étaient chargés de superviser, sur tout le territoire, le déroulement du vote de quelque 37 millions d'électeurs. Sans compter les dizaines de milliers d'observateurs nationaux mobilisés par les équipes des deux candidats. L'objectif est bien évidemment d'éviter que ne soient rééditées les fraudes précédentes. Les auditions de témoins devant la Cour suprême, qui a annulé le résultat du deuxième tour, ont donné la mesure de l'énorme supercherie échafaudée pour assurer la victoire de Viktor Ianoukovitch : des électeurs ont voté à plusieurs reprises avec de faux documents, des résultats ont été modifiés par le système électronique de la Commission électorale centrale, les résultats définitifs ont été établis sans les procès-verbaux de l'ensemble des bureaux de vote et sans examen des plaintes... Le parquet général a ouvert, à la mi-décembre, une enquête sur des " abus de pouvoir" de la Commission, remodelée depuis. De même, la loi organisant le scrutin a été modifiée pour réduire, notamment, le nombre de personnes autorisées à voter à leur domicile ou hors de leur circonscription. Malgré ces garde-fous, l'heure est, du côté de l'opposition, à la prudence et à la mobilisation. Dans le village de tentes planté depuis un mois par l'opposition au beau milieu du boulevard Khreschatyk - les Champs-Elysées de Kiev - Taras confie s'attendre "au pire". "C'est trop beau de penser que le pouvoir va lâcher facilement alors que certains risquent la prison, d'autres leur fortune", explique-t-il. Son champion - l'ancien premier ministre et gouverneur de la Banque nationale, Viktor Iouchtchenko - a fait, lui aussi, part de ses soupçons. "Il est certain que Viktor Ianoukovitch va tenter une contre-révolution", a-t-il estimé, jeudi, sur une chaîne de télévision. "Mais cela ne changera rien", a-t-il ajouté, en en appelant à Dieu pour éviter "toute effusion de sang le jour du vote". MENACE DE SÉCESSION L'actuel premier ministre "conçoit difficilement la notion d'alternance du pouvoir. C'est un homme blessé qui estime qu'on lui a volé sa victoire",confirme un diplomate occidental. Lâché par une partie de son équipe électorale, il ne dispose plus du soutien du président Leonid Koutchma. Même Vladimir Poutine a pris ses distances. Dans un entretien accordé à la BBC et à l'agence Reuters, Viktor Ianoukovitch s'est pourtant montré menaçant. "Je pense que -Viktor- Iouchtchenko va au-devant de graves problèmes, s'il est élu. La moitié du pays ne le reconnaîtra pas comme un président légitime", a déclaré celui qui, en désespoir de cause, agite la menace d'une sécession de l'est du pays, majoritairement russophone. Tout en disant espérer qu'il n'y aura pas de violences, il a prévenu que "des dizaines de milliers de volontaires sont prêts à venir à Kiev défendre sa position". Mais la dynamique électorale est du côté du candidat de Notre Ukraine. A en croire un sondage publié jeudi, Viktor Iouchtchenko disposerait en effet d'une confortable avance de 14 points sur son concurrent. Il arriverait en tête dans 21 des 27 régions du pays, y compris à l'Est. L'opposition se garde pourtant de crier victoire trop tôt. Au besoin, elle se dit prête à reprendre les manifestations monstres qui ont fait fléchir un pouvoir surpris par l'ampleur de la mobilisation populaire. Devant près de 100 000 personnes réunies une nouvelle fois, mercredi, sur la place de l'Indépendance, dans le centre de la capitale, Viktor Iouchtchenko a averti que "le vote du 26 ne sera pas une promenade politique aisée. Nous viendrons donc sur cette place, sur cette scène, après le vote, et nous resterons jusqu'à la victoire". Christophe Châtelot