Mort de Thierry Fortineau
Mort Thierry Fortineau, comédienC'était un de ces comédiens comme sait les cultiver le théâtre français : aussi discret que talentueux. Thierry Fortineau s'est éteint mercredi 8 février à Paris, à la veille de son 53e anniversaire : le cancer qui le rongeait depuis plusieurs mois l'a emporté. Cet ours ultrasensible au talent généreux et puissant, s'était mis au service, au théâtre surtout mais aussi au cinéma et à la télévision, de personnages hors normes : des êtres un peu en dehors du monde du fait de leur sensibilité ou de leur démesure, et qu'il semblait comprendre de l'intérieur.Thierry Fortineau, pourtant, était né, le 9 février 1953, dans un milieu on ne peut plus stable et aisé : une famille de médecins — tendance psychiatrie — nantais. Mais sa mère aime le théâtre, à la folie : il sera comédien. Il arrive à Paris, à l'Ecole de la rue Blanche, au début des années 1970 et, très vite, joue dans la troupe de l'Américain Stuart Seide : Troilus et Cressida de Shakespeare, Dommage qu'elle soit une putain de John Ford...La comédienne Laurence Roy, qui a débuté avec lui à cette époque, se souvient d'"un jeune comédien totalement singulier, d'une grande force intérieure qu'il retournait parfois contre lui. Il cherchait la plus grande intensité poétique possible. Quitte à se brûler".Cette incandescence va bientôt s'exprimer dans ce qui restera un de ses plus grands rôles : le héros du Journal d'un curé de campagne, de Bernanos, que lui offre le metteur en scène François Bourgeat. Michel Cournot, dans Le Monde, écrit qu'il y est "miraculeux de sincérité et d'intensité". Thierry Fortineau obtient le Molière de la révélation théâtrale, en 1988.Ensuite, il y aura le travail avec l'auteur Eric-Emmanuel Schmitt sur Le Visiteur, avec le metteur en scène Luc Bondy pour Jouer avec le feu, d'August Strindberg et Une pièce espagnole de Yasmina Reza, avec Jane Birkin, qui restera une de ses amies proches, pour Oh pardon ! Tu dormais...En 2002 arrive l'autre grand moment de son parcours de comédien : à La Pépinière-Opéra, il joue Michel Cousin, l'antihéros du Gros-Câlin de Romain Gary, qu'il a lui-même adapté. Sans doute ce personnage solitaire, désaxé, égaré, amoureux d'un python, est-il une sorte de double. Il y est en tout cas particulièrement remarquable et émouvant, et se voit décerner le Molière du meilleur comédien. Le cinéma, qu'il fréquente surtout dans les années 1990, ne lui offre pas de rôle marquant mais lui apporte la rencontre — sur Le Brasier, d'Eric Barbier — avec la comédienne Marushka Detmers, avec qui il a eu une fille, Jade Fortineau, elle aussi comédienne. Récemment, on a pu le voir dans Gabrielle, le film de Patrice Chéreau, ou en Maurice Papon dans Nuit noire, le remarquable téléfilm d'Alain Tasma sur le 17 octobre 1961.Sandrine Dumas a été la dernière à le diriger au théâtre : c'était à l'automne 2004, dans Chère maître, à la Gaîté Montparnasse. Thierry Fortineau y jouait Gustave Flaubert : "un personnage à sa mesure : démesuré. La scène était le seul endroit où il était en paix. C'était un être et un acteur calciné, qui savait rendre sa souffrance profondément généreuse".