Exposition Sur la photo d'Helmut Newton qui illustre l'affiche de l'exposition, Yves Saint Laurent et Catherine Deneuve posent bras dessus, bras dessous. Et, pourtant, l'image n'évoque nullement la camaraderie. Le couturier et la comédienne ont des allures de prédateurs à la conquête de la nuit. Alors qu'Yves Saint Laurent agrippe crânement les parements satin de son col, la comédienne glisse la main dans la poche de sa veste. Jean-Pierre Derbord, l'ancien directeur technique des ateliers haute couture d'Yves Saint Laurent, explique qu'«on n'épinglait jamais une manche sur un bras pendant, mais sur un bras coudé, avec la main sur la hanche». Ou dans une poche. Comme une attitude inscrite dans l'ADN du smoking. Cette gestuelle d'homme, qui donne l'impression que Catherine Deneuve porte plutôt un pantalon qu'une jupe, c'est Gabrielle Chanel et Yves Saint Laurent qui l'ont fait adopter aux femmes. Selon Pierre Bergé, la première leur a donné la liberté, le second, le pouvoir. Lancé au féminin pour la collection haute couture printemps-été 1966, le smoking selon Saint Laurent annonce une nouvelle ère. Cette année-là, relate Laurence Benaïm dans la biographie qu'elle a consacrée au couturier (Ed. Grasset), les Françaises achètent 200000 jupes. Le smoking – knickers ou pantalon –, précurseur de la fronde vestimentaire de 1968, s'érige en rival de la petite robe noire. Et de la robe tout court. Courrèges fulmine. Destiné aux silhouettes androgynes aux hanches effacées, il fait une première sortie remarquée, en 1966, en chemise à jabot et lavallière noire, sur une jeune comédienne au corps d'enfant, fragile comme un Saxe: Catherine Deneuve. En 1968, le smoking-bermuda, porté avec une blouse de cigaline transparente, qui dévoile les seins une fois tombée la veste, sème le trouble. Le style YSL se construit, incarné par Betty Catroux, une blonde de 1,80 m à la «stature d'éphèbe», rencontrée en 1967, dans une boîte de nuit. «Ce qu'il adore en elle, c'est lui», écrit Benaïm. Version robe en 70, short en 71, jumpsuit en 75, caban en 81, blouson et jodhpur en 84, trench en 91 ou saharienne en 96, d'année en année, le smoking poursuit ses métamorphoses et affirme sa suprématie. Automne-hiver 1995-1996, c'est la consécration populaire: sous l'impulsion de Maïmé Arnodin, la première grande prêtresse du culte des tendances, il entre dans le catalogue La Redoute. Son prix: 2100 francs contre 15000 francs dans la boutique Rive gauche. Résultats: 1500 smokings vendus. «Ce qui aurait pu passer pour une pure idée était chez lui une idée pure», écrit Farid Chenoune, dans le catalogue de l'exposition. Sur la ligne élancée de son smoking, Yves Saint Laurent impose la carrure comme l'affirmation du style «IL» (ou masculin dans le vocabulaire du couturier). Cette silhouette épaulée devenue légendaire confère à ses clientes une stature incomparable. En 1971, les 343 signataires du manifeste en faveur de l'avortement contribuent elles aussi à modifier le statut des femmes. Cette étape décisive, Yves Saint Laurent la leur fait franchir en pantalon. «When it's pants, it's Yves» (le pantalon, c'est Yves), déclarait Lauren Bacall, lors de l'inauguration de la boutique Rive gauche, à New York, en 1968. «Le rapport de forces entre les femmes et l'establishment masculin s'est joué pendant des années comme une partie d'échecs, explique Christophe Martin, metteur en scène de cette exposition Smoking Forever qui réunit 45 des 230 avatars créés par le couturier depuis le vêtement initial de l'automne-hiver 66-67. C'est pourquoi les modèles présentés à la Fondation sont disposés sur un damier noir et blanc.» «Le noir est un refuge», susurre la voix d'Yves Saint Laurent sur la bande son de l'expo. Comme un message d'éternité. Virginie Mouzat «Smoking Forever», du mercredi 5 octobre au dimanche 23 avril 2006. 3, rue Léonce-Reynaud, 75116 Paris. Tél.: 01.44.31.64.31.