Annonce Sur la peine de mort, le Japon tient la cordeAprès les Etats-Unis, la Chine et la Russie, Tokyo a l'un des pires palmarès en matière de peines capitales.Le retour du second Congrès mondial contre la peine de mort, organisé début octobre à Montréal, un membre du barreau de Tokyo ne cache pas son amertume: «Ce n'est pas au Japon que se tiendrait un tel sommet !». Au Japon, le débat sur la peine de mort reste marqué du sceau du silence. Un constat que l'avocat Yuichi Kaido juge «décevant». Au nom d'une volonté dissuasive et punitive, les exécutions, pratiquées au Japon par pendaison, se succèdent coûte que coûte. Entre 1993 et 2000, 39 exécutions ont été annoncées. En 2001, 53 condamnés à mort attendaient leur exécution, 60 à la date d'aujourd'hui. Les échafauds nippons, dont sont équipés au moins sept prisons, tirent sur la corde.«Usage cynique». Un politicien du Parti libéral démocrate (PLD, au pouvoir) confie, en privé, qu'«il serait stupide de comparer le Japon aux Etats-Unis ou à la Chine et à ses dix mille exécutions par an». Il n'empêche. Dans l'Etat de droit nippon, certaines pratiques étonnent. Accusé : l'arbitraire dans les couloirs de la mort. Confiné dans une cellule truffée de caméras, le condamné à mort ne peut communiquer avec l'extérieur. Les visites de proches et les correspondances avec la famille sont interdites. La date et l'heure de l'exécution sont dévoilées au dernier moment mais pas à la famille, prévenue après l'exécution. L'opinion publique est tenue à l'écart de la nouvelle. Le débat de société autour du crime et de son châtiment n'éclôt jamais vraiment. Les sondages font état d'une population favorable à plus de 70 % à la peine de mort. C'est ainsi que le gouvernement peut faire la sourde oreille aux critiques de la Fédération internationale des droits de l'homme. Ou d'Amnesty, qui presse Tokyo de mettre fin à son «usage cynique et arbitraire de la peine de mort».Une situation à laquelle l'avocat Yuichi Kaido et son épouse, Mizuho Fukushima, devenue la secrétaire générale du Parti social démocrate (PSD, le PS nippon), ne se résignent pas. «La peine de mort est une pratique indigne, explique Yuichi Kaido. Un crime fait suite à un autre crime. Au Japon, le système tolère les abus. Depuis quinze ans, je défends un homme à qui la peine de mort, c'est le cas de le dire, pend au cou. Comme j'obtiens à chaque fois qu'il soit rejugé, faute de preuves, cet homme de 59 ans reste en détention sans véritable verdict, dans des conditions très dures. Or, notre système juridique fait qu'il peut être pendu à tout moment. Ses nerfs ont lâché. Depuis quinze ans, il n'arrive plus à dormir.»L'attente parfois est plus longue encore. Teruo Ono, 62 ans, et Kazuo Sagawa, 48 ans, ont été pendus le 16 décembre 2001. Le premier à Fukuoka, pour le viol et le meurtre d'une femme en septembre 1977. Le second à Tokyo pour le meurtre de deux personnes en 1981. En 1997, l'écrivain Nirio Nagayama fut, quant à lui, exécuté trente ans après sa condamnation. Un système qui autorise les bévues. Condamné à mort en 1964 pour le meurtre d'une jeune fille de 16 ans peine commuée en 1977 en prison à perpétuité , Kazuo Ishikawa, 64 ans, a passé trente et un ans de sa vie derrière les barreaux pour un crime, dit-il, qu'il n'a jamais commis. «Je ne peux pas décrire ma tristesse avec des mots. J'ai été privé des plus belles années de ma vie», déclarait-il à sa sortie de prison en 1995, après avoir été quasiment innocenté.«Crimes horribles». Masumi Hayashi, quant à elle, a été condamnée en 1998 à la peine capitale pour la mort de quatre personnes et l'intoxication de soixante-trois autres. Elle avait jeté de l'arsenic dans un curry préparé pour la fête de son quartier. Idem dans l'affaire de l'attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo en 1995 par la secte Aum: les inculpés, dont le gourou Shoko Asahara, ont été pour la plupart condamnés à mort. Le système, ont rappelé les juges, punit de la plus lourde peine ceux qui «commettent des crimes horribles». Quand bien même ils sont mineurs. Le 2 juillet 1996, un homme de 23 ans, qui avait assassiné en 1992 quatre membres d'une même famille dans un cambriolage à main armée, a été condamné à mort. «Le crime était cruel et sans merci, ont défendu les juges. La Cour ne peut éviter la peine capitale, même en tenant compte du fait que les crimes ont été commis quand l'assassin était mineur.» Un langage que les abolitionnistes nippons réfutent en bloc.«Le moment est venu, pour notre pays, d'abolir la peine de mort, s'exclame, dans son bureau de la Diète, Mizuho Fukushima, qui relaie le combat de son mari au Parlement. Nous prônons un moratoire. Nous avons proposé que le Japon abolisse la peine de mort dans cinq ans.» Yuichi Kaido et son épouse font valoir que «la perpétuité est une sanction très sévère qui peut soulager les proches des victimes». Le Japon compte près d'un millier de condamnés à perpétuité. «Certes, ajoute Yuichi Kaido, l'abolition de la peine de mort chez nous s'annonce difficile... Certains croient que la supprimer entraînerait plus de crimes. C'est faux. Malgré la peine de mort, la criminalité, surtout juvénile, est en hausse dans notre pays. Les arrestations et les emprisonnements augmentent. Les crimes d'argent explosent. Les peines sont plus lourdes.»«Après les Etats-Unis, la Chine et la Russie, le Japon a l'un des pires palmarès en matière de peines de mort», ajoute Yuichi Kaido. En guise de consolation, il vante l'exemple français. «Je conserve une profonde admiration pour Robert Badinter. En 1981, lui et François Mitterrand ont montré l'exemple. A nous de suivre !»
