Annonce Suède: le mal mystérieux des petits réfugiés Les ONG s'inquiètent du nombre de cas d'enfants apathiques et qui risquent l'expulsion. Au bout du campus de l'hôpital universitaire de Karolinska, un vieux bâtiment accueille l'une des cliniques les plus médiatiques de Suède. Là, dans ce service de pédopsychiatrie, sont traités dix enfants coupés du monde des vivants. En Suède, la presse les a baptisés «les enfants réfugiés apathiques». Mais pour le professeur Göran Bodegård, chef du service, le terme apathique rend mal compte de leur situation. Lui parle d'enfants «dévitalisés». Ils sont un véritable mystère car des centaines de cas ont été constatés depuis trois ans, et cela uniquement en Suède. Mauvais traitements. Tous ces enfants, âgés pour la plupart de 8 à 15 ans, sont arrivés en Suède avec leur famille comme demandeurs d'asile, généralement en provenance d'ex-Yougoslavie, d'Asie centrale et du Caucase. Tous ont été victimes ou témoins d'abus, de meurtres, de mauvais traitements. Beaucoup ont vu leur mère se faire violer sous leurs yeux. Aujourd'hui, les plus atteints ne se nourrissent plus, ne boivent plus, ne parlent plus, n'ouvrent plus les yeux, ne bougent plus, s'urinent dessus. «Si nous ne les mettions pas sous perfusion, ils mourraient», dit Göran Bodegård. Dans la plupart des cas, ce sont les aînés qui sont frappés. «Tous ceux que j'ai eus étaient déjà perturbés avant et avaient exprimé la volonté de mourir, afin d'alléger le fardeau de leurs parents, raconte le médecin suédois. Ils ont souvent une relation très étroite avec leur mère, qui elle-même est en déséquilibre psychique. Elles voient cet enfant comme s'il allait mourir. Le seul moyen de récupérer l'enfant est de soigner d'abord la mère. Pour ces gens, cela signifie créer un environnement de sécurité, qui passe par le permis de séjour. Rien d'autre ne compte.» Ce phénomène prend tout le pays de court car, à ce jour, il semble ne s'être déclaré qu'en Suède et confond les experts. Devant leur accumulation, le gouvernement a nommé, l'automne dernier, une commission spéciale. Selon un premier rapport rendu public mercredi à Stockholm, 400 cas ont été enregistrés depuis début 2003 en Suède, et 160 de ces enfants sont actuellement sous traitement. «Ils ont en commun d'exprimer un profond désespoir, un refus passif de tout ce qui les entoure. Ils abandonnent», note Nader Ahmadi, qui a mené l'étude. Göran Bodegård utilise le mot d'«épidémie». Il a été le premier en Suède à mener une étude sur eux et l'un des plus militants pour dénoncer la politique suédoise d'immigration face à ces enfants en danger de mort. Au début du mois d'avril, les députés sociaux-démocrates et conservateurs ont rejeté une motion réclamant l'amnistie et un permis de séjour pour ces enfants et leur famille. Pour le ministre social-démocrate de l'Immigration, Barbro Holmberg, le risque serait trop grand que cela ne fasse que multiplier les cas. Aucune garantie. Des associations, des médecins, certains partis politiques et l'Eglise se mobilisent pour dénoncer cette politique. Selon une enquête de la télévision suédoise, 77 % de ces enfants seraient expulsés. «Ils sont embarqués sur des avions sans aucune garantie d'être soignés là où ils arriveront», dénonce le pédiatre Lars Gustafsson. «C'est une honte pour la Suède», ajoute Göran Bodegård. La ministre de l'Immigration est particulièrement sur la sellette. «Elle insinue, sans preuve, que les parents poussent leurs enfants à jouer les malades pour obtenir plus facilement un permis de séjour», s'insurge Lars Gustafsson. Des rumeurs ont même circulé que certains enfants se levaient la nuit, mangeaient et couraient dans les couloirs. «C'est absurde et épouvantable, s'indigne Göran Bodegård. Les enfants que je traite sont si malades, si affaiblis, qu'il n'y a aucune possibilité de simulation.» Si tous les médecins reconnaissent leur manque de compréhension sur ce phénomène, ils en appellent au devoir de précaution pour accorder un permis de séjour humanitaire à ces familles. Devant cette pression, l'Agence pour l'immigration a annoncé vendredi qu'elle suspendait toutes les expulsions, en attendant que le gouvernement se prononce sur un cas qui pourrait faire jurisprudence. La commission, qui rendra son rapport final à la fin 2006, n'a reçu que peu d'échos des pays contactés. Aucun cas similaire n'est signalé en Allemagne et aux Pays-Bas, une poignée seulement en Norvège et en Finlande, et généralement des enfants arrivant de Suède. Alors pourquoi en Suède? Les enfants du silence gardent toujours leur mystère.