Élection Succès d'un scrutin historique et sanglant en Irak Des millions d'Irakiens ont voté dimanche pour un scrutin historique, dans un climat marqué par des attentats sanglants qui ont tué au moins trente six personnes. Selon la Commission électorale, près de huit millions d'irakiens auraient voté, soit 60% des électeurs inscrits lors des élections générales. L'organisme chapeautant les 10.000 observateurs indépendants a assuré que ces premières élections multipartites depuis 1953 n'avaient connu que "très peu de fraudes". Trente six morts et près de huit millions de votants... C'est le bilan provisoire d'un scrutin historique pour l'Irak. Dans un climat marqué par des attentats sanglants, les électeurs, surtout les chiites au centre et au sud et les Kurdes au nord, ont été aux urnes. Dans les heures qui ont suivi l'ouverture des bureaux de vote et jusqu'à leur clôture, la violence promise par les extrémistes islamistes et que redoutaient les forces américaines et le gouvernement irakien a été au rendez-vous : sept attentats suicide à Bagdad, plusieurs autres attaques dans les villes sunnites voisines, de même que d'autres cités d'Irak. "TRÈS PEU DE FRAUDES". Mais la violence n'a pas empêché les Irakiens de se rendre dans les bureaux de vote. La Commission électorale irakienne a estimé dimanche soir, après la fermeture des urnes, à près de huit millions le nombre d'Irakiens ayant voté, soit 60% des électeurs inscrits lors des élections générales. Tout en soulignant qu'il fallait attendre un jour ou deux pour avoir une évaluation exacte, Adel Lami, membre de la commission, a estimé à près de 8 millions le nombre des votants. Ce chiffre représente environ 60% des 14,2 millions d'inscrits. "Les chiffres annoncés par des représentants de la Commission électorale sont le reflet de l'enthousiasme énorme et compréhensible ressenti sur le terrain en ce jour historique", a indiqué un communiqué de l'organisme indépendant. "Ces chiffres sont néanmoins préliminaires, rassemblés de façon très informelle sur le terrain", ajoute le texte. L'organisme chapeautant quelque 10.000 observateurs irakiens indépendants a assuré, peu avant la clôture du scrutin, que ces premières élections multipartites depuis 1953 n'avaient connu que "très peu de fraudes". "De façon générale, nos observateurs ont constaté que les élections se sont déroulées de manière excellente et il n'y a eu que très peu de violations et de fraudes", a déclaré à la presse le porte-parole de l'ONG Ein (Oeil). La participation élevée, encouragée par des violences relativement limitées en raison de mesures de sécurité exceptionnelles, devrait conforter la légitimité du pouvoir qui sortira des urnes, les chiites, majoritaires mais opprimés sous l'ancien régime, étant considérés comme les probables vainqueurs. Le groupe de l'islamiste Abou Moussab al-Zarqaoui a pourtant estimé avoir "gâché les noces" électorales irakiennes par des attaques menées par treize kamikazes, dans un communiqué qui lui est attribué sur un site internet. Dès les premières heures du scrutin, les électeurs se sont pressés nombreux dans les bureaux de vote dans les zones chiites dans le centre et le sud du pays, ainsi qu'au Kurdistan irakien au nord. "TRIANGLE DE LA MORT" Dans les villes du "triangle de la mort" et d'autres zones sunnites, la participation a été nettement moindre, certains bureaux de vote restant fermés. Mais des centaines de sunnites se sont néanmoins rendus aux urnes, bravant les menaces de mort brandies par des organisations extrémistes et les appels au boycottage de la principale association religieuse de cette communauté. Dans la province d'Al-Anbar, les bureaux de vote étaient vides. A Fallouja, à 50 km à l'ouest de Bagdad, qui fut le théâtre d'un assaut massif de l'armée américaine contre la guérilla en novembre, les rues désertes étaient patrouillées uniquement par des soldats américains et les forces irakiennes. Cinq bureaux ont été ouverts mais personne n'ose s'y aventurer, selon un correspondant de l'AFP. Quelque 14,2 millions d'électeurs pouvaient voter dans 5.159 bureaux. 17.000 candidats et 223 listes étaient en lice pour trois scrutins. Pour le Parlement national de 275 sièges chargée de rédiger la Constitution, les Irakiens choisissaient entre 111 listes et 7.761 candidats. Les Irakiens élisaient également les 41 membres de chacun des 17 conseils provinciaux et les 51 du Conseil de Bagdad et les Kurdes devaient choisir les 111 députés de leur Assemblée autonome. Treize listes étaient en compétition. Les résultats définitifs officiels ne sont pas attendus avant plusieurs jours. Trente-six personnes, 30 civils et six policiers, ont été tuées et 96 autres, en majorité des civils, ont été blessées à travers l'Irak dans des actes de violences pendant la journée des élections, selon un bilan du ministère de l'Intérieur. Le ministère n'a pas précisé si ce bilan tenait compte des kamikazes morts. A ces chiffres s'ajoute la mort d'un soldats américain lors d'une attaque dans la province rebelle d'Al-Anbar. Des explosions ont aussi secoué Baaqouba, fief rebelle à 60 km au nord de la capitale, ainsi que Mossoul, au nord de Bagdad. A Bassorah, capitale méridionale de l'Irak à forte majorité chiite, un obus de mortier s'est abattu près d'un bureau de vote sans faire de blessé, tandis qu'à Kirkouk, ville multiethnique du nord, des mortiers ont été tirés sur la base américaine, provoquant une alerte juste avant le début du scrutin. Le président intérimaire Ghazi al-Yaouar a été la première personnalité politique à voter dans un bureau spécial dans la Zone verte, périmètre sécurisé du centre de Bagdad. "Je suis heureux et fier en cette matinée bénie", a déclaré M. Yaouar en habit traditionnel et qui a glissé les bulletins de vote dans des urnes avant de se faire remettre un drapeau irakien, blanc, noir, rouge et vert. "Je félicite tous les Irakiens et leur demande de ne pas renoncer à leur droit. Je les appelle à voter pour l'Irak et à élire l'Irak", a-t-il ajouté. En pays chiite, des milliers d'électeurs enthousiastes se sont pressés devant les bureaux de vote, comme dans la ville sainte de Najaf, à 160 km au sud de Bagdad, où un électeur, Hassan Jajer, a fièrement exhibé la marque d'encre indélébile prouvant qu'il a voté en déclarant : "C'est un tatouage d'honneur". Les chefs spirituels et politiques de la communauté chiite ont encouragé les leurs à aller voter, tout comme les Kurdes. Tandis que les sunnites, qui ont dominé la vie politique de l'Irak moderne, ont été appelés à boycotter le scrutin et leur principale formation politique, le Parti islamique irakien, s'est retirée de la course. "UN AVENIR MEILLEUR" Les électeurs ont été nombreux aussi dans la région autonome du Kurdistan, comme à Erbil où régnait une ambiance de fête et où une électrice Pina Mohammed, 30 ans, déclare avoir la conviction qu'"en votant elle rendra l'avenir meilleur". Pour sa part la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice a salué dimanche "l'émergence d'une voix irakienne pour la liberté" à l'occasion des élections. Selon le président américain George W. Bush, les Irakiens on rejeté l'idéologie anti-démocratique des terroristes. Il a toutefois souligné, lors d'une déclaration à la Maison Blanche, que les Irakiens avaient "encore du chemin à faire sur la route de la démocratie" mais qu'ils se sont montrés "à la hauteur du défi". "Aujourd'hui, les Irakiens ont parlé au monde et le monde a entendu la voix de la liberté venant du centre du Moyen-Orient. En grand nombre et malgré de grands risques, les Irakiens ont monté leur attachement à la démocratie. En participant à des élections libres, les Irakiens ont fermement rejeté l'idéologie anti-démocratique des terroristes", a déclaré le président américain. "Les Irakiens eux-mêmes ont fait de cette élection un succès éclatant". Le bilan humain de ce "succès", pour cette seule journée, est de 36 personnes (30 civils et six policiers) tuées et 96 autres, en majorité des civils, blessées.