Mort de Stanislas Breton

Mort Stanislas Breton, métaphysicien atypique et lumineux - Philosophe, longtemps professeur aux Instituts catholiques de Paris et de Lyon, Stanislas Breton est mort à la suite d'un infarctus, samedi 2 avril, à l'hôpital Saint-Camille de Bry-sur-Marne. Né en 1912 dans une famille modeste de la région bordelaise, orphelin de père puis, très tôt, de mère, Paul (puis Stanislas, son prénom en religion) Breton doit au curé de son village, comme tant d'autres à cette époque, de faire des études au petit séminaire d'Agen puis dans un juvénat vendéen des Pères passionistes, un ordre religieux peu connu, peu nombreux en France et dans le monde et, disons-le sans aucune nuance péjorative, guère intellectuel. Il les rejoint très jeune, et on reconnaît ses mérites intellectuels puisqu'il devient vite professeur de philosophie des futurs passionistes avant d'être envoyé à Rome en 1938 pour y passer une licence de philosophie scolastique. Mobilisé en 1939, prisonnier en 1940, il passe cinq ans dans un stalag en Autriche : une expérience fondatrice qui, avec sa naissance modeste, ne sera pas sans influence sur la sympathie portée, sa vie durant, au Parti communiste et au marxisme. Revenu du camp, il retourne à Rome jusqu'en 1956. A qui voudrait connaître la forme et le contenu de l'enseignement de la philosophie thomiste et, plus généralement, l'ambiance intellectuelle dans les universités pontificales romaines en cette période qui précède de peu le concile Vatican II, on ne peut que recommander de lire le récit qu'il en fait, d'une causticité brillante, humoristique et malgré tout cordiale, dans De Rome à Paris. Un itinéraire philosophique (Desclée de Brouwer, 1992). Outre sa thèse, il publie dès 1954 un petit livre qui témoigne d'un souci durable et original à propos du sens philosophique de la Croix (La Passion du Christ et les philosophes, 1954, un thème repris différemment plus tard, par exemple dans Le Verbe et la Croix, Desclée, 1981). De retour en France, il enseigne aux facultés catholiques de Lyon, puis aussi de Paris, où il occupe la chaire de métaphysique. Le thomisme qu'il avait appris à Rome n'était pas un carcan, il n'y fut jamais enfermé et il eut toujours d'autres curiosités. Mais, sous l'influence d'amis de coeur comme Jean Trouillard et Henry Duméry, il vit dans les années 1960 une "mutation" vers le néoplatonisme, à la fois comme métaphysique et comme mystique. Jusque dans les années 1990, il sera l'auteur d'une vingtaine d'essais philosophiques : citons avant tout Du principe (Cerf, 1971) et Etre, Monde, Imaginaire (Seuil, 1976), ou encore Spinoza, théologie et politique (Desclée, 1976), Deux mystiques de l'excès, J.-J. Surin et Maître Eckhart (Cerf, 1985)... Tous ces livres, variés par leur objet, témoignent de son exceptionnelle puissance spéculative, reconnue par Michel de Certeau par exemple (qui lui fit connaître Surin), par des philosophes comme Paul Ricoeur, Emmanuel Lévinas et d'autres, mais aussi, de manière plus surprenante, par Althusser et des "althussériens". Il avait rencontré "Louis" en 1966 ; ils s'apprécièrent mutuellement en échangeant leurs vues sur Spinoza, Hegel et Marx, le néoplatonisme... Althusser lui confia durant quelque temps un cours pour les "agrégatifs". Stanislas Breton fut de ceux qui, après le drame (le meurtre de son épouse en novembre 1980), ne l'abandonnèrent jamais. VITALITÉ EXUBÉRANTE Au vrai, Althusser ne fut qu'une des innombrables "ouvertures" de ce métaphysicien hors du commun, aux allures paysannes, au rire tonitruant et sans fin (où ses amis décelaient aussi quelque angoisse), émerveillé de façon quasi enfantine par les enfants, ravi de jardiner (et d'offrir les produits de son jardin à ses hôtes), sorte d'astéroïde dans son ordre (qui le soutint d'une fraternité sans faille) et dans l'Eglise (qu'il aima... et traita sans ménagement). Ses cours étaient animés, c'est le moins que l'on puisse dire, par sa vitalité exubérante. Durant les deux dernières décennies de sa vie, il s'intéressa aux autres religions du monde et se fit voyageur en Australie, au Japon... Il tira deces périples quelques textes éblouissants qu'on peut trouver, pour certains, dans Philosophie buissonnière (éd. Jérôme Millon, 1989).