Mort de Soeur Jacques-Marie

Mort Soeur Jacques-Marie, religieuse dominicaine, amie de Matisse Sœur Jacques-Marie, ancienne infirmière et modèle du peintre Henri Matisse, est morte lundi 26 septembre à Bidart (Pyrénées-Atlantiques). Un destin imprévu fit tenir à cette religieuse un rôle-clé dans l'histoire de l'art au XXe siècle : sans elle, la chapelle de Matisse à Vence (Alpes-Maritimes) n'aurait pas existé. Née à Fontainebleau en 1921, Monique Bourgeois est élève infirmière à Nice en 1942, lorsqu'elle apprend qu'un peintre nommé Matisse (dont elle n'avait jamais entendu parler) cherche une infirmière "jeune et jolie" . "Jeune, je l'étais , commentera-t-elle plus tard. Mais jolie ? On me disait que non ..." Elle commence ainsi de soigner le vieux maître, avec lequel se développe bientôt une relation intense. Dès le début, Matisse apprécie son franc-parler. Un jour, il lui demande ce qu'elle pense de ses peintures. Elle lui répond : "Excusez-moi, les couleurs me plaisent, mais les formes sont affreuses." Le mot enchante le peintre : "Au moins, vous ne dites pas : "Cher maître, c'est ravissant...", alors que vous pensez le contraire." Elle devient son modèle, et les portraits de Monique sont alors nombreux. Mais, précisera-t-elle plus tard, "il ne m'a jamais touché l'épaule" . Monique Bourgeois l'assiste aussi pour plusieurs de ses réalisations, comme le livre Jazz . De son côté, il la guide dans ses essais de dessin et de peinture. ÉCHANGE DE LETTRES En 1944, Matisse a du mal à comprendre la décision de Monique d'entrer au couvent, dans la congrégation des dominicaines du Rosaire, dite "de Monteils" (le village de l'Aveyron qui fut leur berceau). Mais un échange de lettres profondes se maintient entre eux. Par un hasard étonnant, devenue Soeur Jacques-Marie, elle est envoyée, en 1946, dans une maison de sa congrégation située à Vence, presque à côté de la villa "Le Rêve", louée par Matisse. Les liens se renouent. Les soeurs souhaitent construire une chapelle. Soeur Jacques-Marie dessine, en 1947, un vitrail, dont elle soumet le projet à Matisse. Le peintre l'encourage à le réaliser. Les choses tournent autrement. Un jeune dominicain ayant une formation d'architecte, le Frère Rayssiguier, fait des plans pour cette chapelle, les présente au peintre et se risque à lui demander d'en dessiner lui-même les vitraux. L'audace de ces deux jeunes religieux (Soeur Jacques-Marie a 26 ans et le Frère Rayssiguier en a 27) plaît à Matisse. Il décide de réaliser lui-même, avec eux, la chapelle : "Je suis (...) dans une sorte de crise de conscience et il se pourrait qu'un grand chambardement de mon travail arrive" , écrit-il alors. De fait, une aventure de près de quatre années commence pour lui, pendant laquelle il peindra très peu, accaparé qu'il est par la construction de ce qu'il appellera son "chef-d'oeuvre" . Il faut cependant le poids de l'autorité du Père Marie-Alain Couturier, autre dominicain, directeur de la revue L'Art sacré , pour vaincre les craintes de certains dans l'Eglise catholique. Matisse doit subir aussi les critiques de plusieurs de ses amis, ceux du camp communiste et, au premier chef, Picasso. Les conversations d'alors avec la Soeur Jacques-Marie, qui restera pour lui "l'initiatrice de la chapelle" , semblent l'avoir soutenu. Elle réalise d'ailleurs la première maquette du bâtiment. Il prendra souvent son avis dans la construction de cette "oeuvre totale", dont il surveille l'architecture, réalise les grands panneaux de céramique avec leurs dessins noir sur blanc, les vitraux et l'autel, le mobilier, les objets nécessaires pour les célébrations, les chasubles... La chapelle est consacrée le 25 juin 1951, mais le travail durera encore quelques mois. Plusieurs fois supérieure dans sa congrégation, la Soeur Jacques-Marie a fini sa vie à Bidart, au Pays basque, où elle avait dirigé un établissement hospitalier. Pendant la construction de Vence, elle fuyait les journalistes. Plus tard, elle prendra un malicieux plaisir à revenir sur son passé. Elle a souvent raconté sa vie, notamment dans une autobiographie et dans un film américain de Barbara Freed, diffusé sur France 5 en 2004. Elle le faisait avec humour, une petite moue désabusée cachant mal la joie qu'elle avait eue de vivre cette histoire inattendue.