Annonce Social La rue s'emploie contre le gouvernement Selon les syndicats, 1,2 million de manifestants se sont mobilisés pour le travail et les salaires. Pari réussi pour les syndicats. Les quelque 150 manifestations organisées dans les principales villes de France ont rassemblé au total plus d'un million de personnes. Exactement 1 147 290 selon les syndicats et environ 470 000 selon la police. Peu importe le chiffre : la mobilisation est largement comparable à celle du 10 mars où plus de 700 000 personnes s'étaient retrouvées dans la rue. Et si le mouvement de grève semble avoir été un peu moins suivi dans le secteur public que celui du 10 mars, les salariés du privé étaient nettement mieux représentés dans les cortèges, ce qui est assez exceptionnel pour une journée d'action en semaine. Mais maintenant se pose une double question : quelles suites donner et quelles réponses le gouvernement peut-il apporter ? «Ce n'est pas une journée d'action isolée, mais une mobilisation qui s'amplifie», observe le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, en tête du cortège parisien avec ses homologues François Chérèque (CFDT), Jean-Claude Mailly (FO), Jacques Voisin (CFTC), Jean-Louis Walter (CGC), Gérard Aschieri (FSU), Alain Olive (Unsa) et Annick Coupé (Solidaires). Juste derrière eux, les Hewlett-Packard (HP) avaient pris place, symboles de cette manifestation. A Grenoble, où les 2 100 salariés du site HP d'Eybens craignent d'être touchés, ils étaient entre 15 000 selon la police, 30 000 selon les syndicats. Dans la capitale, le défilé est impressionnant. Et si le chiffre de 150 000 avancé par les organisateurs est sans doute exagéré, celui de 30 000 affiché par la police ne correspond de toute évidence pas à la réalité (1). «Répondre». Pour le patron de la CGT, l'après est clairement dans le camp gouvernemental. «La CGT est déjà prête à envisager des suites si les réponses appropriées ne viennent pas, et les syndicats ont déjà pris date en ce sens. Nous demandons le retrait du contrat nouvelles embauches. Le gouvernement doit répondre aux demandes des fonctionnaires dont il a la responsabilité et ne peut s'en tenir à un appel incantatoire à des négociations sur l'évolution des salaires dans les branches.» François Chérèque, lui, attend «des réponses très claires sur l'emploi et le pouvoir d'achat. Dans les branches professionnelles, on veut des accords pour qu'il n'y ait plus de minima sous le Smic». «Il y aura de toute façon une suite», promet le secrétaire général de la CFDT. Pour Jean-Claude Mailly, «il faut que le gouvernement réponde rapidement». «On ne va pas lui laisser quinze jours, explique le leader de FO. Je ne lui demande pas une réponse obligatoirement ce soir ; mais, dans les jours à venir, il faut qu'on ait des réponses.» Le risque de voir ce mouvement de protestation s'amplifier a conduit Dominique de Villepin à montrer qu'il prenait la grogne très au sérieux. Fait très rare, le Premier ministre a répondu à pas moins de cinq interpellations lors de la séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale. Mais il n'a rien lâché aux grévistes et aux manifestants. Le chef du gouvernement a déclaré qu'il «écoute le message» des Français et qu'il se «bat pour l'emploi» et «le pouvoir d'achat», les deux principales revendications des grévistes. «Le gouvernement est mobilisé sur l'ensemble des fronts», a-t-il martelé sur un ton décidé, qu'il s'agisse des «délocalisations» ou du dossier de la SNCM, et qu'il ne se résolvait pas à «l'impuissance publique». Dans le conflit de la SNCM, autre symbole avec HP des défilés d'hier, une issue pourrait être cherchée en proposant de monter la part des salariés dans le capital de 5 à 8 %, et permettre ainsi d'exercer, avec les 25 % de l'Etat, une minorité de blocage autour de 33 %. Alors que le président du groupe socialiste, Jean-Marc Ayrault, le questionnait sur «la France en colère», le chef du gouvernement a tenté d'impliquer tout le monde : «Le message que nous adressent les Français s'adresse à tous : à vous comme à nous, au centre, à la droite, à la gauche, à l'Etat comme aux entreprises.» «Je me rappelle d'autres gouvernements que vous avez soutenus, où la réponse n'était pas celle du rendez-vous de l'action, mais bien d'un constat, celui de l'impuissance publique», a-t-il lancé au communiste Alain Bocquet, qui l'accusait ensuite d'avoir «raté» son pari de restaurer en «cent jours» la confiance des Français. Mais au lieu d'aligner des propositions (il en avancera peut-être demain soir sur France 2), Dominique de Villepin s'est contenté de se vanter de ses bons résultats en matière de baisse du chômage et de faire assaut d'optimisme et de volontarisme : «Nous serons au rendez-vous de la croissance (avec une prévision de 2,25 % en 2006, ndlr), parce que nous mettons toute notre énergie, tous nos moyens pour y arriver.» «Utopie». Coincé entre les revendications syndicales et les libéraux de son camp, Nicolas Sarkozy en tête, qui souhaitent le voir aller plus loin en matière de réformes, Villepin a choisi de ne pas bouger de son cap. Hier, devant les députés UMP, il a mis en garde contre «l'utopie» de la «rupture», expliquant que «la rupture n'avait été possible qu'une seule fois dans l'histoire, c'était la Révolution. Les ruptures se terminent toujours dans un bain de sang», selon des propos de Villepin rapportés par le député des Deux-Sèvres Dominique Paillé. Nicolas Sarkozy l'a écouté sans broncher. (1) Les cortèges ont rassemblé des effectifs impressionnants : plus de 35 000 personnes à Bordeaux, 30 000 à Toulouse, entre 15 000 et 25 000 à Lyon, Nantes, Rennes et au Mans, au moins 12 000 à Montpellier et Rouen.