Procès Six salariés de l'aviation comparaissent pour «homicides et blessures involontaires». Crash du mont Sainte-Odile: le procès quatorze ans plus tard par Thomas CALINON QUOTIDIEN : mardi 02 mai 2006 Strasbourg de notre correspondant Le procès, enfin ! Aujourd'hui, à Colmar (Haut-Rhin), débutent deux mois d'audience consacrés à la catastrophe aérienne du mont Sainte-Odile. Plus de quatorze ans après les faits, le tribunal correctionnel se penche sur les responsabilités pénales présumées du crash de l'Airbus A320 d'Air Inter, le 20 janvier 1992, à 30 kilomètres de Strasbourg. Bilan : 87 morts et 9 survivants. Un contrôleur aérien et cinq anciens cadres d'Airbus, d'Air Inter et de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) comparaissent pour «homicides et blessures involontaires». Selon la loi en vigueur au moment des faits, moins sévère que le Code pénal actuel, ils encourent deux ans de prison et 4 573 euros d'amende. Sur le même sujet Polémique sur les secours Ultramoderne. Quatorze ans d'instruction, c'est très long. Beaucoup trop pour les rescapés et les proches de victimes, regroupés au sein de l'association Echo (Entraide de la catastrophe des hauteurs du Sainte-Odile), qui a déposé une requête contre la France devant la Cour européenne des droits de l'homme pour durée excessive de la procédure. «Ces quatorze ans sont peut-être le résultat d'une situation qui nous échappe mais que l'histoire nous apprendra», dit Alvaro Rendon, le président d'Echo. Comprendre que, si les juges avaient dû se prononcer plus tôt sur une éventuelle responsabilité d'Airbus, cela aurait pu nuire, en cas de condamnation, à la carrière commerciale de l'A320, appareil ultramoderne à l'époque. Pourtant, à l'instar du juge d'instruction André Schmidt, qui conclut les 511 pages de son ordonnance de renvoi en laissant la porte ouverte à plusieurs scénarios, Alvaro Rendon admet que la technologie de l'appareil ne peut pas, à elle seule, expliquer l'accident : «Il existe plusieurs causes, et il n'y en a pas une plus prépondérante que l'autre. Si l'on ne retient qu'une d'entre elles, il n'y a pas de crash.» L'enquête n'a pu s'appuyer sur la boîte noire de l'A320, détruite lors de la collision. En l'absence d'indices évidents et dans un contexte élevé de technicité, il a fallu avoir recours aux experts. L'instruction, qui a donné une impression d'enlisement, est un long cycle d'expertises, compléments d'expertises et contre-expertises ordonnés par le juge ou réclamés par les avocats des mis en examen et des parties civiles. Chaque rapport a soulevé son lot d'hypothèses nouvelles. Des experts au sein d'un même collège ont fait part de leurs divergences, un autre a jugé défaillant le travail qu'il avait rendu et s'est remis à l'ouvrage, pendant deux ans encore. Le juge d'instruction évoque «une stratification de conclusions expertales multiples, parfois contradictoires [...], qui ne simplifient pas la tâche de la justice et ajoutent au désarroi des victimes». Mais, poursuit-il, ce sont ces strates qui «permettront d'aboutir à la vérité judiciaire». Un fait est acquis de longue date : à aucun moment les pilotes, tous deux décédés, n'ont pris conscience du danger. Dans la nuit et par mauvaises conditions météorologiques, le vol d'Air Inter, en provenance de Lyon et à destination de Strasbourg-Entzheim, a percuté la Bloss, hauteur proche du mont Sainte-Odile, à 800 mètres d'altitude, sans que les pilotes aient tenté une quelconque manoeuvre d'évitement. En principe, l'avion n'aurait pas dû survoler les crêtes des Vosges. Mais il était 1,5 km trop à l'ouest de l'axe d'approche de l'aéroport. Eric Lammari, contrôleur aérien chargé du guidage radar du vol d'Air Inter, est poursuivi pour avoir transmis à l'équipage des indications de position erronées. Unique bouton. L'A320 volait également trop bas. L'instruction retient que les pilotes ont pu confondre deux modes de mise en descente de l'appareil, activés par un unique bouton poussoir. L'un de ces modes définit une vitesse verticale en pieds par minute, l'autre un angle de pente en degrés. Pensant ordonner une descente selon un angle de 3,3°, l'équipage aurait en fait inscrit 33, pour 3 300 pieds par minute, soit une vitesse verticale trois fois supérieure à celle désirée. Bernard Ziegler, ex-directeur technique d'Airbus Industrie, est poursuivi pour la conception ergonomique du cockpit, de nature à favoriser la confusion. Egalement mis en examen pour le dysfonctionnement d'un appareil de mesure de la distance, il objecte que les pilotes auraient pu identifier et corriger l'anomalie. Ils n'ont pourtant rien remarqué, peut-être parce qu'ils manquaient de repères aux commandes de ce nouvel avion. Jacques Rantet, à l'époque directeur d'exploitation d'Air Inter, sera jugé pour avoir constitué un équipage ayant une faible expérience sur A320 (162 heures pour le pilote, 61 pour le copilote). Alertes intempestives. Dernier élément, l'absence de GPWS, un avertisseur de proximité du sol. Un vol d'essai a montré que, si l'Airbus en avait été équipé, le pilote aurait été alerté dix-sept secondes avant la collision. Or cet appareil, obligatoire selon les normes internationales de l'époque, ne l'était pas dans la réglementation française. Pierre-Henri Gourgeon et Claude Frantzen, anciens responsables de l'aviation civile, sont renvoyés devant le tribunal pour ne pas en avoir imposé l'utilisation. Même sort pour Daniel Cauvin, ex-directeur général adjoint d'Air Inter. La compagnie n'a pas pris l'initiative d'équiper ses appareils de GPWS, estimant que l'avertisseur engendrait trop d'alertes intempestives. En ces deux mois d'audience, les débats seront extrêmement pointus. Techniquement et juridiquement. Si elle réclame des condamnations, l'accusation devra en effet prouver qu'il existe un «lien de causalité certain» entre les fautes présumées et le crash, et que ces fautes sont «caractérisées», c'est-à-dire commises en ayant conscience d'exposer autrui à un risque grave. La vérité judiciaire pourrait donc ne pas correspondre à la vérité «morale» retenue par Echo, qui souhaite «que les responsabilités pénales de ceux qui ont mal travaillé soient établies» et, surtout, qu'après quatorze ans d'attente «le débat soit digne et respectueux».