Annonce Sécurité Avec le plan d'Identité nationale électronique sécurisée, la France prépare l'entrée de la biométrie dans le contrôle aux frontières Ines : la révolution des documents d'identité Ines: plan d'Identité nationale électronique sécurisée. Le grand chantier de l'administration électronique en France a désormais un acronyme qui sonne comme un prénom. «Ce sera l'un des sujets phares de la rentrée», confie un fin connaisseur du dossier au ministère de l'Intérieur. A terme, il s'agit de remplacer les classiques papiers d'identité, aisément falsifiables, par des cartes à puce sécurisées contenant, entre autres, les identifiants biométriques de leur détenteur, c'est-à-dire les éléments distinctifs de l'individu, comme la morphologie du visage, les empreintes digitales ou le dessin de l'iris de l'oeil. Ce programme vise à contrer les filières terroristes et criminelles passées maîtres dans la fraude documentaire mais aussi l'immigration clandestine. Il se veut aussi porteur de simplification administrative. Tout doit être prêt en 2006. La Direction centrale de la police aux frontières s'apprête déjà à tester la fiabilité de ces nouvelles techniques auprès d'un panel de grands voyageurs qui devront être volontaires pour l'expérience. Il aura fallu près de quinze ans pour en arriver là. Esquissé au tout début des années 90, lancé par Vaillant, poursuivi par Sarkozy et aujourd'hui par Villepin, le projet d'administration électronique s'inscrit en fait dans un mouvement qui dépasse de loin le cadre national. D'âpres discussions mobilisent experts et gouvernants, dans le cadre du G 8 et du G 5, pour définir les normes qui permettront la réalisation de documents fiables et instantanément lisibles quelle que soit la frontière traversée. «Tout le monde est concerné, explique un fonctionnaire issu du Quai d'Orsay, car il faut s'assurer de l'interopérabilité des techniques mises en oeuvre.» En clair : vérifier que les systèmes seront compatibles entre pays. Les États-Unis se font de plus en plus pressants. Depuis les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone, ils veulent bénéficier au plus vite des promesses de sécurité que les nouvelles techniques biométriques laissent entrevoir. Quitte à obliger les pays tiers à s'aligner sur leur calendrier (lire ci-dessous). «Ces préoccupations, nous les partageons», reconnaît un diplomate français. «La France anime d'ailleurs avec les États-Unis, au sein du G 8, un groupe de travail sur l'utilisation des données biométriques dans les documents de voyage», ajoute-t-il. Mais Paris a ses propres exigences. L'approche française se veut globale. A chaque administré doit correspondre un «titre fondateur», sorte de dossier numérique de référence, qui servira de base pour éditer au moins cinq autres titres d'identité ou de voyage sous forme de carte à puce, comme la carte nationale d'identité, le passeport ou le permis de conduire. A la clé : une sécurité accrue, bien sûr, mais aussi une simplification des procédures administratives. Il suffira aux mairies d'échanger des fichiers cryptés pour collecter les données nécessaires à l'établissement des titres (état civil, photographie, signature, empreintes). «Le processus complet de production des documents sera d'ailleurs centralisé», précise un haut fonctionnaire Place Beauvau. Ce qui représente, selon lui, «une petite révolution», les passeports vierges fournis par l'Imprimerie nationale devant jusqu'alors transiter par camion blindé pour être ensuite personnalisés dans les préfectures et les sous-préfectures, soit quelque 350 sites de délivrance. «Les attaques de fourgons remplis de passeports, comme celles survenues en février à Grasse ou à Villeneuve-la-Garenne, appartiendront bientôt au passé», estime un contrôleur général de la police. «Songez que certains documents volés dans ce type d'opérations ont été retrouvés dans les camps d'al-Qaida», ajoute un proche collaborateur du ministre de l'Intérieur. Et le haut fonctionnaire de poursuivre : «Le plan Ines aura de telles implications en terme de sécurité, de redéfinition des tâches administratives, mais aussi de libertés publiques, qu'il ne peut se décider par un simple décret. Il faudra ouvrir préalablement un véritable débat législatif.» Pour l'heure, tant au plan international qu'au niveau européen, les pays doivent s'accorder sur les techniques biométriques qui s'imposeront à tous. L'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), compétente pour fixer la norme relative aux documents de transport, ne rend obligatoire, pour l'instant, que l'image numérisée du visage sur un support électronique, de préférence une puce sans contact. Elle considère le recours aux empreintes digitales ou rétiniennes comme facultatif. Et c'est là que le bât blesse. Car chaque technique complémentaire a ses partisans. D'un côté, les États-Unis militent pour l'empreinte rétinienne. Les industriels américains se disent prêts à généraliser cette technologie. «Elle a la faveur des Anglo-Saxons qui, comme les Allemands, font un blocage d'ordre quasi culturel sur l'empreinte digitale, en raison de sa connotation pénale», explique un cadre de la Police aux frontières. «Il n'y a pas que des raisons culturelles, renchérit l'un de ses collègues. Jusqu'en 2006, en tout cas, c'est une société américaine, Iridian, qui détient le brevet du scanner de l'iris de l'oeil...» Dans ce contexte, la France avance avec pragmatisme. Si elle ne ferme pas la porte à la technique de l'iris, qui pourrait constituer le troisième identifiant, elle croit davantage à une généralisation rapide de la reconnaissance par l'empreinte digitale, «technique arrivée à maturité», selon la Place Beauvau. «Les expérimentations sur l'iris de l'oeil à Miami, l'an dernier, ont abouti à un échec sur deux», révèle un fonctionnaire de police qui a participé à Paris à la restitution de nombreuses expérimentations internationales. Ce spécialiste ajoute : «L'intérêt des empreintes digitales, outre leur fiabilité, c'est que les services de douane et de police du monde entier disposent aujourd'hui de fichiers d'empreintes directement exploitables pour traquer les éventuels fraudeurs. Alors que la technique de l'iris impliquerait d'abord de scanner des millions d'individus pour constituer les fichiers de référence.» Dominique de Villepin et son successeur aux Affaires étrangères, Michel Barnier, vont donc reprendre leur bâton de pèlerin pour convaincre du bien-fondé de la position française. Paris a déjà obtenu gain de cause auprès des instances européennes pour les visas et les titres de séjour qui comporteront comme identifiants obligatoires l'image de face et les empreintes digitales. Après la rencontre des ministres de l'Intérieur du G 5 à Sheffield, en Grande-Bretagne, le 5 et 6 juillet dernier, le prochain rendez-vous aura peut-être lieu dès septembre, lors du sommet informel Justice-Affaires-Intérieures prévu aux Pays-Bas. Suivra un autre G 5 en octobre, à Rome. Dans le camp tricolore se rangeraient désormais l'Italie, l'Autriche, la Suède, la Belgique, la Lettonie, l'Espagne, la Slovaquie, la Hongrie, la Norvège, la Pologne, le Danemark et la Lituanie. Les Pays-Bas, le Portugal, Malte, la Finlande, la Grèce, l'Estonie et la Slovénie seraient encore indécis, tandis que la Grande-Bretagne se déclare ouvertement pour l'iris, tout en prônant la «flexibilité». Quant à l'Allemagne, la Norvège et l'Islande, elles reconnaissent la nécessité d'un second identifiant obligatoire, considérant malgré tout qu'il est urgent d'attendre pour arrêter un choix... Un luxe que le plan Ines ne pourra pas se permettre. Selon le cabinet Villepin, «les premiers documents à puce made in France doivent impérativement sortir pour la fin 2006».