Exposition Sebastião Salgado : «Montrer la planète pure»EXPOSITION La Bibliothèque nationale présente 136 clichés retraçant le parcours du photojournaliste.«Cette exposition est importante pour moi parce qu'elle se situe dans le cadre de l'année du Brésil en France et parce que la Biblio thèque nationale représente beaucoup en terme de culture.»(Photo AFP.) Après avoir témoigné depuis plus de trente ans de la dureté de la condition humaine à travers le monde, le photographe brésilien Sebastião Salgado a engagé un vaste projet sur la nature. On peut en voir actuellement quelques inédits à la Bibliothèque nationale de France à Paris (1). Créateur d'une esthétique photographique singulière, l'homme évoque son travail, ses projets et son engagement auprès des paysans brésiliens.LE FIGARO. – Comment doit être considérée cette expo qui n'est ni une rétrospective ni une exposition thématique?Sebastião SALGADO. – Cette exposition est importante pour moi parce qu'elle se situe dans le cadre de l'année du Brésil en France et parce que la Biblio thèque nationale représente beaucoup en terme de culture. On peut y voir une partie de la collection de mes photos que possède la Biblio thèque qui a commencé à en acheter dès 1975, soit deux ans après que j'étais devenu photographe. Elle est complétée par une part de dons que je fais à l'institution. Il y a notamment quelques photos de mon dernier projet, Genesis, débuté il y a deux ans et qui doit encore me prendre huit ans. J'aurai alors 70 ans et je pourrai m'arrêter.Pouvez-vous nous en dire plus ?Je veux montrer la biodiversité de la planète, montrer la planète pure qui représente encore, on ne l'imagine pas, 46% de notre Terre. Ce sont les grands déserts, l'Antarctique, l'Arctique, les montagnes au-delà de 3 000 mètres, pas mal de forêts tropicales mais aussi les forêts froides, l'Alaska, le nord du Canada, la Sibérie. Je mène ce projet avec l'aide de l'Unesco et le soutien de huit magazines internationaux dont Paris Match qui publieront mes reportages.Est-ce que ce besoin de photographier la nature signifie que vous en avez terminé avec les hommes, un ras-le-bol peut-être ?Pas un ras-le-bol mais j'ai clos ce chapitre. Aujourd'hui, je veux faire quelque chose pour la nature qui, on s'en rend compte en regardant l'ensemble des photos exposées à la Bibliothèque nationale, était déjà très présente dans mon travail. J'ai toujours voulu rendre compte de la dimension géographique de la planète mais dernièrement, je me suis tellement rapproché de la nature, que j'ai voulu lui consacrer un sujet.Comment vous en êtes-vous rapproché ?J'ai racheté les terres de mon père qui était fermier au Brésil. Avec ma femme, nous participons depuis quinze ans au reboisement d'une partie de la forêt atlantique qui a été détruite à 93%. Nous essayons de ramener ce minimum à 20% pour rééquilibrer l'écosystème. Cela passe par le reboisement et la replantation de cent soixante espèces différentes. Nous travaillons dans le cadre d'une ONG reconnue d'utilité publique avec des associations et les paysans. On essaye de voir si on peut changer la qualité de vie dans la région et il semble que les mentalités évoluent. Pour en revenir à moi, ce projet découle forcément des précédents.Comment naissent ces projets dans votre esprit ?Aucun de ces projets n'est né d'une idée magique. Ils arrivent les uns à la suite des autres, en fonction de ce que je vis. Pour Genesis, c'est peut-être le plaisir de voir revenir dans ma région, les papillons, les oiseaux. Je voulais raconter cette histoire en images. Le projet Exodes est né de La Main de l'homme. A la fin des années 80, on a assisté au départ de pans entiers de l'industrie vers d'autres pays. Ces problèmes de délocalisation ont créé des mouvements de population colossaux des campagnes vers les villes. Avant que l'on parle de globalisation, j'avais compris.D'où vous vient ce goût pour les projets encyclopédiques ?La plupart des photographes documentaires ont travaillé et travaillent toujours sur des projets encyclopédiques. Il faut des années pour mener à bien un travail cohérent à partir de bribes. Pour vivre, je fais autre chose, même de la publicité. Mais ce n'est pas facile de mettre ton âme sur ces petites choses...Vos photos pointent la misère. Témoignent-elles d'une volonté de lutter contre l'ordre établi par la photo ?On ne peut pas lutter contre l'ordre établi puisqu'on en fait partie. On sent qu'il y a des imperfections. Si je peux aider à les changer un peu, je serai content. C'est plutôt dans ce sens que je conçois la révolte. Lutter contre est déraisonnable.Que vous a apporté votre formation d'économiste dans votre métier de photographe et quelle était cette formation ?J'ai obtenu une maîtrise en sciences économiques à l'Université de Sao Paulo que j'ai complétée par un doctorat à Paris. Mon dernier travail dans ce domaine était un poste au sein de l'Organisation internationale du café à Londres. Je continue à lire dans la presse les rubriques économiques. J'y trouve d'ailleurs la majorité des informations sur mon pays. L'économie m'a donné des bases de compréhension. On apprend à analyser, à systématiser. Ça m'a aidé pour bâtir un projet.Si vous étiez resté économiste, auriez-vous eu le sentiment de pouvoir lutter contre ce que vous dénoncez à travers vos photos ?Je ne crois pas qu'il y ait une idée géniale. Il faut un ensemble de choses pour avoir un effet. On accuse l'économie de tous les maux alors que l'on devrait pointer la géopolitique, le système financier, dénoncer les points de concentration de la richesse qui aboutissent à la désorganisation de tout l'espace de notre planète. Ce ne sont pas les théories économiques qui sont en défaut.Certaines critiques vous reprochent de trop composer vos images ?Je ne crois pas que l'on puisse construire une photo lorsqu'on la prend en une fraction de seconde. Chaque photographe a une manière de faire l'image qui est la sienne comme un écrivain a un style. C'est un langage formel. Alors oui, j'adore les cadres larges et je contrôle la lumière. Oui j'en ajoute peut-être 5% au tirage mais je reste avant tout un photojournaliste, je ne fais pas de l'art. Mes photos sont faites pour être publiées dans les journaux.Vous vivez depuis plus de trente ans en France. Vous sentez-vous Français ?J'ai un passeport français, mes deux enfants sont nés en France, j'ai un petit-fils français mais je ne descends pas de nos ancêtres les Gaulois. Je suis Brésilien. Je suis devenu photographe ici, je suis donc un photographe français.n (1) Exposition jusqu'au 15 janvier à la Bibliothèque nationale. Tél. : 01.53.79.59.59. «Sebastiao Salgado. Territoires et vies» sous la direction d'Anne Biroleau et Dominique Versavel, éd. BNF, 38 €.
