Fait divers Santé :La psychiatrie publique en état de manque Moins d'argent et de postes, plus de soins: la profession est en crise. Après la tuerie de Pau, Douste-Blazy annonce un moratoire sur la fermeture des lits. La psychiatrie à l'abandon ? Philippe Douste-Blazy a convoqué hier une réunion de crise «sur la violence à l'hôpital et la sécurisation des hôpitaux», après le double meurtre au centre hospitalier de Pau (lire page 4) qui illustre, selon les syndicats, la situation catastrophique de la psychiatrie. A l'issue, il a annoncé «un moratoire immédiat sur la fermeture de lits en hôpital psychiatrique» et demandé à ce que «les services d'urgence (des hôpitaux) et certains services psychiatriques qui en feraient la demande soient reliés directement au commissariat» de leur commune. Le ministre de la Santé a également demandé une enquête de l'Inspection générale des Affaires sociales (Igas) pour savoir «comment était géré l'établissement de Pau, notamment au niveau des effectifs». Philippe Douste-Blazy a réagi d'autant plus rapidement après le fait divers de Pau, dont les circonstances sont encore inconnues, que la crise dans le secteur de la psychiatrie est patente et dénoncée depuis des mois par les personnels et les malades. La démographie des soignants est en chute libre, quand la demande de soins est en plein boom. Depuis dix ans, les fermetures de lits hospitaliers sont drastiques et non compensées par la création d'autres structures d'accueil. Sans compter les restrictions budgétaires, les restructurations arbitraires... Nerfs. Les psychiatres sont au bord de la crise de nerfs. Et leurs malades trinquent aussi. «Des enfants sont pris en charge à un stade plus grave parce qu'ils peuvent attendre six mois pour un premier rendez-vous», cite ainsi Eric Malapert, praticien à Paris et président du Syndicat des psychiatres d'exercice public (Spep). «Nous voyons revenir en consultation des patients qui devraient rester hospitalisés un mois. Faute de place, ils sortent au bout de trois jours, quand le gros de la crise est passé. Mais ils ne sont pas prêts», renchérit Emile Rafowicz, chef du centre médico-psychologique (CMP) de Boissy-Saint-Léger (Val-de-Marne). «Des malades lourds, qui nécessiteraient un suivi médical, sont poussés vers le social, ça coûte moins cher», complète Pierre Staël, psychiatre libéral à Metz et président du Syndicat des psychiatres français. «On constate une augmentation phénoménale de cas de psy en prison et chez les SDF», affirme Roger Salbreux, praticien retraité. Comment en est-on arrivé là ? «Jusqu'à présent, la volonté, l'énergie et la mobilisation du personnel ont en partie pallié les problèmes, estime Eric Malapert. Là, on rentre dans une phase de décroissance démographique des soignants dont on ne mesure pas encore les effets.» Comme tous les spécialistes, les psychiatres ont commencé à voir décliner leurs effectifs en 2000, après des années de relative opulence. Mais la crise démographique est particulièrement marquée en santé mentale. D'ici à 2020, la France va passer de 13 000 à 8 000 psychiatres. «Une baisse de plus de 40 %, bien supérieure à celles des autres spécialistes (25 %), et des généralistes (9 %)», note Pierre Staël. Perspective d'autant plus dramatique, ajoute Eric Malapert, qu'«en psy, contrairement aux spécialités plus techniques, le plus important ce sont les hommes». Et d'insister : «Les études l'ont montré. Quand il y a des hommes, on peut se passer des murs (sous entendu les asiles, ndlr), augmenter la qualité de la prise en charge et diminuer la violence.» Femmes. Outre qu'ils sont de moins en moins nombreux, les hommes (qui sont des femmes à plus de 40 %) sont très mal répartis sur le territoire, dans le secteur public comme dans le privé. A Paris, la densité des psychiatres est de 88 pour 100 000 habitants ; elle est inférieure à 18 dans la moitié des départements, selon la Fédération française de psychiatrie. «Le Nord, le Centre, le Limousin, l'Auvergne, et même la périphérie de villes universitaires sont en voie de désertification, dit Eric Malapert. A Vernon, une petite ville très agréable à mi-chemin entre Paris et Rouen, le secteur a fermé il y a deux ans quand le dernier psychiatre est parti.» L'hôpital de Vernon confirme que les 28 lits d'hospitalisation en psychiatrie ont été progressivement fermés, par manque de médecins. «Deux postes de psychiatres sont pourvus, sur six budgétés. Ces praticiens se partagent entre l'hôpital de jour et le CMP», précise un porte-parole de l'établissement. Un exemple parmi d'autres. Même Paris, mieux loti en psychiatres, n'est pas épargné. A l'hôpital Henri Ey (XIIIe arrondissement) où ont été transférés il y a un mois les services de psychiatrie de Perray Vaucluse (Epinay-sur-Orge), les locaux sont flambant neufs. Mais, faute d'infirmiers (il en manque 48 sur les 166 prévus), «deux des unités n'ont pas ouvert, et les autres fonctionnent avec 50 % du personnel», constate Eric Malapert. Tant pis pour les projets novateurs sur lesquels les soignants ont planché pendant des mois. Peau. Il y a aussi les projets plus ou moins abracadabrants de restructurations pour raisons économiques, au mépris du travail sur le terrain et du service rendu aux malades. D'abord menacé de fermeture fin 2002, puis de fusion avec un centre de l'arrondissement voisin, le Centre d'accueil de crise (CAC) de la Roquette du XIe a bataillé pendant dix-huit mois pour sauver sa peau. Cette structure de proximité n'a dû sa survie qu'à la mobilisation de médecins, élus, et fait encore plus exceptionnel, des patients eux-mêmes. Au CMP de Boissy-Saint-Léger, installé depuis trente ans au coeur d'une cité, l'équipe se bat pour tenter d'échapper à une gestion directe par l'Assistance publique. Un projet qui concerne aussi le CMP voisin de Maisons-Alfort. Les soignants de Boissy sont unanimes. Avec une gestion par l'Assistance publique, c'est leur mode de fonctionnement qui serait menacé : le suivi au long cours, au rythme du patient ; les visites à domicile ; les liens tissés dans la cité qui permettent des actions de prévention... «Le principe du secteur, c'est l'équité de l'accessibilité aux soins, en dehors de l'asile», ajoute François Hivert, l'un des psychiatres. Dans les CMP, les patients sont accueillis sans avoir à justifier d'une quelconque prise en charge sociale. «L'Assistance publique, c'est un modèle très médicalisé. Il y a des procédures, qu'il faut optimiser au plus vite. Mais il y a un temps de parole à respecter. Ici, ce sont les patients qui disent qu'ils veulent un rendez-vous. ça semble un détail, mais c'est important», dit Kathy Saada, psychologue. «La psychiatrie de secteur est un magnifique instrument qu'on est en train de casser», synthétise Eric Malapert. Mais les médecins n'ont pas encore baissé les bras. Après une première journée de mobilisation fin novembre, les syndicats de psychiatres publics comptent appeler à une grève en janvier. A moins que le plan de santé mentale réclamé depuis des lustres par la profession voie le jour. En juin dernier, Philippe Douste-Blazy avait annoncé sa présentation «dans les mois qui viennent». A l'issue de la réunion de crise qu'il a tenue hier à huis clos au ministère de la Santé, en présence d'une petite trentaine de représentants syndicaux des médecins psychiatres hospitaliers, des médecins urgentistes et des salariés du secteur de la santé, il a assuré qu'il en «avancerait» la date «dans les prochaines semaines» et le doterait de 200 millions d'euros . En attendant, il a indiqué qu'il demanderait au président de la République la Légion d'honneur pour les deux victimes de Pau.