Victoire Rugby. En battant l'Irlande, le pays de Galles a remporté, samedi, son premier Grand Chelem depuis vingt-sept ans.Irréductibles GalloisGalles-Irlande : 32 -20 (16 -6) Galles : 2 essais, Jenkins (16e), Morgan (58e); 5 buts, Henson (23e), Jones (31e, 43e, 51e, 70e); 2 transformations, Jones; 1 drop, Henson (12e). Irlande : 2 essais, Horan (66e), Murphy (73e); 2 buts, O'Gara (3e, 35e); 2 transformations, Humphreys. «Nous avons battu l'Angleterre, s'égosille l'animateur, nous avons battu l'Italie, nous avons battu la France, nous avons battu l'Ecosse, et aujourd'hui nous avons battu nos amis irlandais.» La fin de sa phrase est noyée dans une clameur insensée, ponctuée par l'apparition de colonnes de feu et de divers autres effets pyrotechniques qui semblent jaillir du tréfonds de la pelouse. Sur l'estrade, où les vainqueurs s'apprêtent à recevoir le trophée des Six Nations, le Toulousain Gareth Thomas, capitaine en survêtement il souffre d'une fracture du pouce depuis le match contre les Français , «pogote» comme à l'époque des meilleurs concerts de John Cale, le moins rugbyman des Gallois. Non loin de là, Tom Shanklin, son centre siamois, procède à l'échange des maillots avec son vis-à-vis malheureux, Brian O'Driscoll. Dwayne Peel, élu homme du match, demi de mêlée encore plus teigneux que Peter Stringer, court dans tous les sens, comme s'il ne comprenait pas ce qui vient d'arriver. Martyn Williams, le flanker qui a planté deux essais aux Bleus en cinq minutes (et administré quatorze plaquages aux Irlandais), lance au micro le même «Oggy, oggy, oggy ! Oil ! Oil ! Oil!» que Catherine Zeta Jones, l'actrice de Swansea montée à Hollywood, quand elle a reçu son oscar en 2003 pour Chicago. Tom Jones lui-même, l'ancien ailier poussif des scolaires de Pontypridd, n'est pas oublié, dont l'incontournable Delilah rythme le tour d'honneur des vainqueurs. Car ici le pompeux Starwars et le trop convenu We Are The Champions de Queen n'ont nullement droit de cité. «Spécial». Dans les gradins, c'est le délire. Les gens s'étreignent, s'embrassent, pleurent de joie. Vingt-sept ans après l'ultime grand chelem gagné par les Diables rouges des JPR Williams, Gareth Edwards, Phil Bennett et autre Derek Quinnell (patriarche du clan) contre le XV de France de Bernard Viviès, Jérôme Gallion, Jean-Pierre Rives et Jean-Claude Skrela, le pays de Galles domine de nouveau le rugby de l'hémisphère Nord. Le plus extraordinaire, c'est qu'à l'époque du règne de leurs aînés, la plupart des triomphateurs du Millennium Stadium n'étaient pas nés le stade n'existait pas non plus. Qu'importe, il faut avoir vu, et surtout entendu, comment les supporteurs ont poussé les leurs à aller chercher ce grand chelem (plus le gain du Tournoi, plus la triple couronne qui récompense le vainqueur des équipes anglo-saxonnes) pour mesurer l'importance qu'a le rugby pour les habitants de la principauté. «Le public a été incroyable, dira l'ailier de poche Shane Williams au sortir du terrain. Aucun adversaire n'aurait pu nous battre dans une ambiance pareille.» «Dès l'hymne, j'ai compris qu'il se passait quelque chose de spécial», ajoutera Kevin Morgan, autre ailier promu arrière à cause de la blessure de Gareth Thomas et auteur d'un splendide essai.Curieux frisson. C'est vrai qu'à la façon dont les Gallois ont repris Land Of My Fathers, interprété notamment par Charlotte Church, la petite amie du centre Gavin Henson (un drop, une pénalité de 55 mètres), même ceux dont les ancêtres n'ont aucun lien avec la terre en question ont ressenti un curieux frisson. «J'ai rarement connu une ferveur de ce genre, admettra Brian O'Driscoll. Je regrette seulement que l'on n'ait pas entendu un peu plus les Irlandais. Mais peut-être ne leur avons-nous pas donné assez d'occasions de crier.»Tout à sa déception, le capitaine irlandais noircit un tantinet le tableau. Car même si elle a commis un certain nombre d'erreurs inhabituelles (Ronan O'Gara, en particulier, qui n'a jamais vraiment été dans le match jusqu'à se faire contrer par un pilier sur le premier essai gallois), son équipe a envoyé un maximum de jeu. Mais elle s'est heurtée à une défense intraitable, dont on avait déjà eu un aperçu à Saint-Denis. Il aurait fallu pas moins de quinze O'Driscoll pour la déstabiliser. «Leur défense était hyperorganisée, poursuit celui-ci, et seul un sursaut méritoire qui nous a permis de marquer deux essais dans les vingt dernières minutes nous a évité l'humiliation. Mais les Gallois n'ont pas volé leur grand chelem. C'est donc plus facile d'accepter la défaite contre une telle équipe.»Aventure. Une équipe venue de loin (il y a deux ans, Galles avait reçu la cuillère de bois), dont on se demande maintenant comment elle va évoluer. «Sans chercher à nous comparer à l'équipe de 70, nous espérons bien sûr vivre le début d'une grande aventure», ne cache pas l'entraîneur Mike Ruddock, alors que l'ancienne gloire locale Jonathan Davies assure que ce grand chelem est la preuve que «le pays de Galles a enfin compris ce que signifie rugby professionnel». Et peut-être même un peu plus, puisque non seulement il gagne mais il séduit. «C'était le jour des Gallois», conclura fataliste Eddie O'Sullivan, coach irlandais désabusé. Que dire alors de la nuit qui a suivi ?
