Mort de René L'Hermitte

Mort René L'Hermitte mort samedi 12 mars à l'âge de 86 ans-disparaît une figure marquante de la slavistique française. Comme nombre de slavistes de sa génération, il avait d'abord reçu une formation de germaniste. Passionné dès l'enfance par les langues, qu'il étudia toute sa vie, René L'Hermitte eut une carrière atypique. Il appartient à cette mince phalange d'universitaires"sortis du rang" : ce fils de tourneur-ajusteur, né en 1918, a gravi tous les degrés qui séparent un instituteur d'une chaire en Sorbonne, celle de linguistique russe. Il quitte l'enseignement pendant la guerre et, dès la Libération, fidèle aux amitiés contractées dans la Résistance, entre au journal L'Humanité. Le jeune instituteur polyglotte, devenu journaliste, mène une vie aventureuse, qui le conduit en Indochine, où il interviewe Hô Chi Minh, mais aussi à Belgrade et finalement à Moscou où, pendant deux années (1949- 1950), il est le correspondant officiel du quotidien communiste. Le retour en France est rude. Renvoyé à l'enseignement, René L'Hermitte gagne sa vie comme maître auxiliaire d'allemand, tout en préparant l'agrégation de russe, qu'il obtient en 1955. Il traduit La Ville natale et Dans les tranchées de Stalingrad, de Viktor Nekrassov. La linguistique soviétique était alors mal connue en France. Encouragé par Marcel Cohen et André Martinet, René L'Hermitte s'attache alors à présenter aux linguistes français les recherches de leurs confrères russes. Il ouvre en 1952, dans le bulletin de la Société de linguistique de Paris, une chronique bibliographique qui devait s'étendre sur près de quarante ans et assurer la circulation des connaissances entre linguistes français et russes. Cette mission de passeur est illustrée en 1974 par un numéro de la revue Langages (nº 33) consacré au linguiste Sebastian K. Shaumjan et à la linguistique soviétique. Membre du comité de la Revue des études slaves, René L'Hermitte laisse une œuvre scientifique variée et abondante, au centre de laquelle sa thèse, consacrée à La Phrase nominale en russe (1978, Institut d'études slaves), reste une référence obligée. MARR ET MARRISME Outre plusieurs traductions et des ouvrages didactiques (Eléments de grammaire générale du russe, 1989), René L'Hermitte était aussi attiré par l'histoire, qu'il s'agisse de l'histoire de la linguistique, avec le premier ouvrage français sur le courant dit "marriste" (Science et perversion idéologique. Marr, marrisme, marristes : une page de l'histoire de la linguistique soviétique, Paris, IES, 1987), ou de l'histoire du Parti communiste. Il venait, avant de nous quitter, d'achever deux manuscrits : des Mémoires et un livre, La Fin du Komintern. Homme sincère et chaleureux, adepte du parler direct et parfois rugueux, René L'Hermitte a su transmettre sa passion de la linguistique à des générations de slavistes.