Annonce Référendum Chirac ne fait pas bouger l'opinion Un coup pour rien. A six semaines de l'échéance du 29 mai, la poussive prestation télévisée de Jacques Chirac, jeudi soir sur TF1, n'a pas changé grand-chose au rapport de forces. Selon l'enquête de l'Institut Louis Harris, réalisée pour Libération, I>Télé et Yahoo, le non continue de caracoler en tête : il recueille 53 % des intentions de vote contre 47 % pour le oui (1). Un état des lieux stable, sondage après sondage, depuis la mi-mars. Notre étude se contente de marquer un très léger effritement du non (-1 point) par rapport à notre précédente livraison, qui remonte au début du mois d'avril. Le niveau de ceux qui ne se prononcent pas demeure, lui, très élevé, un tiers des Français se refusant à délivrer une intention de vote. Si l'écart se resserre ainsi à la marge, 50 % des personnes interrogées jugent que le grand oral de Jacques Chirac n'était «pas convaincant», seuls 22 % exprimant l'avis inverse, tandis que 28 % ne se prononcent pas. Ignorance. En clair, les deux heures de pédagogie élyséenne n'ont pas eu d'effet. Ce spectacle brouillon n'a pas éclairé l'opinion sur le contenu des 448 articles du projet de Constitution. Malgré trois mois d'une campagne interne au PS ultramédiatisée à l'automne, un mois et demi d'échanges publics depuis l'annonce de la date de la consultation, et une profusion d'émissions et de littératures en tous genres, les deux tiers des Français se disent toujours «mal informés», seuls 33 % se sentant rassasiés. Et le vote non est largement indexé sur la perception de cette ignorance. 72 % des personnes interrogées qui se disent «mal informées» optent pour le non, quand 60 % de ceux qui se prétendent «bien informés» choisissent le oui. Plus l'électeur se sent mal à l'aise avec un texte qu'il est incapable de décrypter, plus il choisit de le rejeter. Voilà sans doute l'un des handicaps principaux du camp du oui. Contrairement au débat sur Maastricht, de 1992, qui pouvait se résumer à la question «pour ou contre la monnaie unique ?», les partisans de la Constitution ne parviennent pas à donner de la chair à un texte indigeste. Indécision. Si Chirac n'a pas réussi à le faire en deux heures d'émission, il n'a pas non plus alourdi la note du oui. Le sondage a été réalisé pour l'essentiel vendredi en fin de journée et samedi, une fois digérés par l'opinion les premiers commentaires très négatifs émis par la presse sur l'émission de TF1. Ce bruit dissipé, la situation s'est révélée inchangée. Le non reste largement majoritaire à gauche (61 %), et notamment chez les sympathisants socialistes (55 %). Il est porté par les catégories défavorisées (75 % chez les ouvriers, 54 % parmi les employés). A l'inverse, le oui est plébiscité à droite (80 %), parmi les catégories favorisées (85 % chez les cadres supérieurs) et ne l'emporte que dans deux tranches d'âge : les moins de 24 ans et les plus de 65 ans. Le principal échec du chef de l'Etat consiste donc à ne pas avoir séduit les indécis : 45 % d'entre eux jugent qu'il n'a pas été convaincant. Le oui s'est un peu raffermi : après avoir essuyé l'offensive du non, qui a su additionner ses différences pour créer une dynamique depuis un mois, 86 % des tenants du oui (+ 15 points) sont désormais «sûrs de leur choix». L'Elysée avait sans doute trop misé sur cette première prestation. Car il est rare qu'une seule émission suffise à faire la décision. Lors de Maastricht, un seul institut de sondage avait noté une progression immédiate du oui au lendemain du duel télévisé Mitterrand-Séguin. Tous les autres avaient enregistré, dans un premier temps, un statu quo. A défaut de renverser la vapeur, au moins le piètre numéro de Chirac n'a-t-il pas commis trop de dégâts.