Mort de Raymond Hains
Mort Raymond Hains, affichiste et anarchiste du Nouveau RéalismeL'artiste français Raymond Hains est mort à Paris vendredi 28 octobre. Il était âgé de 78 ans.Disparaître quelques jours après l'ouverture de l'exposition Dada au Centre Pompidou pourrait passer pour l'ultime et noire facétie de celui qui a poussé jusqu'à leurs conséquences dernières les principes de liberté et de dérision dadaïstes, refusant toute idée de sérieux, à plus forte raison toute idée d'oeuvre et de carrière.Raymond Hains naît en novembre 1926 à Dinard, "Breton jusqu'à l'os et Celte délirant" dira Iris Clert, qui fut sa galeriste et son amie. Ses premières curiosités sont pour la photographie, non telle que la pratiquent les reporters, mais telle que l'expérimente alors Emmanuel Sougez, du côté de la déformation et de la répétition des formes, dans les parages de l'abstraction et du surréalisme. Sa rencontre avec l'oeuvre de Sougez, par hasard, dans une vitrine à Laval en juin 1944, puis à Rennes l'année suivante, décident Hains à venir Paris rencontrer l'artiste qui l'intrigue et s'initier à ses techniques.Dès 1948, il expose ses Obsessions, déformations et abstractions en vue du cinéma, qui sont autant de jeux avec la photographie, détournée de ses usages habituels grâce à des miroirs et des manipulations des plaques sensibles. L'année suivante, ce sont les premières Photographies hypnagogiques, faites à travers des verres cannelés qui dispersent et multiplient les choses. Dès ce moment, Hains se place délibérément à contre-courant des techniques habituelles, leur préférant les expériences et les bricolages.Ceux auxquels il s'essaie dès le début des années 1950, en compagnie de Jacques de La Villeglé, appartiennent depuis longtemps à l'histoire de l'art du XXe siècle : ce sont les décollages et lacérations d'affiches récoltées nuitamment sur les murs et les palissades. De loin, on dirait des abstractions gestuelles du genre de celles qui sont à la mode dans les galeries parisiennes dans les années 1950.De près, ce sont des superpositions complexes et illogiques, des textes et des mots incomplets, des bribes d'images, la mémoire d'une société vue à travers ses réclames, ses lieux communs et ses slogans : des échantillons de vie moderne prélevés in situ et aménagés juste ce qu'il faut pour accentuer une idée ou un effet.En 1957, les deux hommes organisent chez Colette Allendy l'exposition "Loi du 29 juillet 1881 ou le Lyrisme à la sauvette", qui marque l'apparition publique de ces "affichistes" narquois. Suit en 1961 La France déchirée, dans laquelle la plupart des oeuvres font directement allusion aux "événements" d'Algérie et à l'OAS exposition politique dans une époque où elles sont rares.Entre-temps, le 27 octobre 1960, Hains et Villeglé ont tous deux signé, chez Yves Klein, la déclaration constitutive du Nouveau Réalisme. Décision logique : leur détournement des affiches peut être comparé à celui qu'Arman, Raysse et Spoerri font subir aux objets de consommation courante et aux débris qu'ils assemblent afin de représenter l'époque sous forme de reliquaires et de présentoirs.Dans cette période d'intense activité, sous l'égide de Pierre Restany, Hains participe donc aux manifestations collectives du groupe, à Paris, Milan ou Stockholm. Il est aussi, dès 1961, invité à The Art of Assemblage au Museum of Modern Art de New York, ce qui l'inscrit dans une histoire qui commence avec Höch et Schwitters, avec Dada par conséquent. Il apparaît alors, parfois en compagnie de Villeglé, parfois de Mimmo Rotella, comme le "maître" de la lacération, au risque tôt signalé par les critiques de se répéter.Risque vite écarté : les affiches disparaissent vers 1965, remplacées par les Allumettes démesurément agrandies, avant que Raymond Hains invente une certaine forme d'installation plastique et de performance poétique à laquelle il n'a pas donné de nom. Installation parce que toutes sortes d'objets peuvent y entrer, vieux skis, objets trouvés, photographies, images surprises ou composées sur un écran d'ordinateur.Ces éléments apparemment disparates obéissent à un ordre secret, qui ne se révèle que par et dans les mots : par les performances langagières ahurissantes dans lesquelles Hains se montre inégalable et dont sa conversation, presque impossible à suivre parfois, a été le chef-d'oeuvre permanent et stupéfiant offert à tout interlocuteur.D'un nom propre à un autre, d'un calembour à une homonymie, d'une allusion hermétique à une plaisanterie idiote, d'une référence extrêmement savante et rare à une blague, Hains tisse des filets de significations et de sous-entendus, laissant au spectateur le soin de ne pas s'y perdre. L'exercice commence généralement dès le titre de l'exposition : La Chasse au cnac (et non au snark) au CNAC (Centre national d'art contemporain) en 1976 et, la même année, L'Art à Vinci dans la galerie de Lara Vincy ; Paris-Pâris à Troyes en 1987 ; Les 3 Cartier à la Fondation du même nom en 1994. En 1986, déjà chez Cartier, il affirme rendre Hommage au marquis de Bièvre. La réalité est un peu différente. Parce que Jean-Pierre Raynaud a installé devant la fondation un monumental Pot rouge , Hains introduit des Peaux Rouges, mais aussi Jean-Jacques Pauvert et ainsi de suite à l'infini des assonances et des échos, quelquefois insaisissables.Plaisanteries sans conséquences ? Ce n'est pas sûr. Nombre d'entre elles prennent en écharpe les grandes figures de l'art et du marché, les anciens compagnons du Nouveau Réalisme, mais aussi les célébrités de la politique ou du cinéma. La dérision est constante, le détachement aussi : à aucun moment, Raymond Hains n'a songé à tirer parti de sa notoriété et à poser au maître, encore moins à y trouver des avantages économiques, lui qui a mené une vie de "clochard céleste" et qui ne regardait qu'avec méfiance hommages et rétrospectives. Celle qui, après bien des retards, eut lieu au Centre Pompidou en 2001 s'intitulait justement"Raymond Hains, la tentative".C'est en cela qu'il a été un Dada égaré dans une époque très peu faite pour une telle indépendance. Tout en se moquant des filiations et des historiens, il n'en accepta pas moins le prix Schwitters en 1997 de la ville de Hanovre. Cette distinction portant le nom de l'ironique artiste allemand était en effet la seule qui pouvait lui convenir.