Mort de Raymond DavisAvec
Mort Raymond DavisAvec le décès, jeudi 1er juin, de Raymond Davis, prix Nobel de physique 2002 avec le Japonais Masatoshi Koshiba et l'Américain Riccardo Giacconi, c'est un montreur d'illusionnistes qui vient de disparaître dans sa maison de Long Island (New York), victime de la maladie d'Alzheimer. Ce physicien, âgé de 91 ans, a en effet permis la mise en évidence de particules élémentaires quasi fantômes, les neutrinos, impliquées dans nombre de processus qui gouvernent l'Univers.Paradoxalement, Raymond Davis, né à Washington le 14 octobre 1914, étudie d'abord la chimie. Un choix qui le conduit à rentrer dans l'industrie, chez Dow Chemical. Mais au bout d'un an, il reprend ses études. D'abord à l'Université du Maryland, puis à l'Université de Yale, où il obtient son doctorat de chimie en 1942. Aussitôt, il est appelé sous les drapeaux pour superviser des tests d'armes chimiques au Dugway Proving Ground (Utah).LE DÉCLICRendu à la vie civile en 1945, il rejoint la firme Monsanto où il mène des travaux de radiochimie pour le compte de l'Atomic Energy Commission. Une étape qui le conduit bientôt à intégrer le tout nouveau Brookhaven National Laboratory, qui deviendra bientôt une Mecque de la science. Raymond Davis ne le sait pas encore, mais il est en train d'entrer dans un autre monde. Celui de la physique. A sa grande surprise, et aussi pour son plus grand plaisir, le patron du département de chimie l'envoie directement en bibliothèque pour y trouver un sujet qui lui conviendrait.Il tombe alors sur un article des Reviews of Modern Physics consacré aux neutrinos, un domaine dont on sait bien peu de chose. C'est le déclic. Il va traquer une particule qui existe en abondance dans l'univers mais échappe aux filets des chasseurs. Inventé à regret, en 1930, pour ses travaux théoriques par le physicien Wolfgang Pauli, le neutrino, fait bientôt le bonheur des chercheurs car il signe en quelque sorte les réactions nucléaires, celles (fission) des centrales nucléaires comme celles (fusion) qui font briller les étoiles. Encore faut-il piéger ce diabolique fantôme qui pourrait traverser des milliers de Terres mises bout à bout sans interagir avec elles ?Sur cent mille milliards de neutrinos qui transpercent notre planète, un seul est arrêté ! Comment le détecter quand la théorie prétend que le neutrino peut, en plus, se présenter sous trois formes différentes passant sans cesse, tel un illusionniste, de l'une à l'autre ? Malgré cette faculté à disparaître, les Américains Frederik Reines et Clyde Cowan, impliqués dans la fabrication des bombes "A" et "H", parviennent, en 1953, à le repérer, dans les puissants flux de particules émis par le réacteur de recherche de Savannah River. Découverte qui leur vaudra le Nobel de physique en 1995.Dopé par cette annonce, Raymond Davis se propose d'aller plus loin et de détecter les neutrinos produits par les réactions nucléaires du Soleil. Pour s'affranchir de tout bruit parasite, il décide de placer ses instruments - de grandes cuves remplies d'un liquide qui interagit avec les neutrinos - au fond d'une mine. D'abord à Akron, dans l'Ohio, puis à Lead, dans le Dakota du Sud. Pari réussi. En trente ans, il piège 2 000 neutrinos sur les centaines de milliards qui ont traversé ses détecteurs.Cette découverte est importante car elle démontre que l'énergie solaire - et par voie de conséquence, celle des étoiles - provient bien des réactions de fusion nucléaire. Mais elle ouvre aussi la voie à une "astronomie de l'invisible" dont Raymond Davis conviendra lui- même qu'il n'en soupçonnait pas la possibilité. Reste malgré tout une énigme : le nombre des neutrinos détectés par lui est inférieur à celui prévu par la théorie. Pourquoi ? Parce qu'on a mesuré dans cette expérience une seule des trois catégories de neutrinos existants du fait de leur capacité à changer spontanément de costume.Ce n'est que tout récemment que ce phénomène a été confirmé par une expérience canadienne (SNO). Une découverte qui a bouleversé la cosmologie car elle implique que les neutrinos aient une masse, certes faible, mais dont le total contribue à expliquer une partie de la masse manquante, et donc invisible, de l'univers.