Annonce Ratonnade contre des gitans en AndalousieDes meurtres, attribués à des gitans, ont entraîné des représailles racistes à Cortegana.Vicente Aguilera est encore sous le choc, au lendemain ce qu'il appelle «la nuit de terreur». «Ils ont voulu nous lyncher, moi et les autres gitans du village. J'ai bien cru qu'on allait tous y passer», témoigne cet ouvrier agricole de 47 ans, père de sept enfants. Cette «nuit de terreur» a commencé dans la soirée de dimanche. Ce jour-là, près de la moitié de la population de Cortegana, un bourg andalou de 5 000 habitants, à 100 km au nord-ouest de Séville, manifeste pour réclamer «plus de sécurité» et exiger «que justice soit faite». La colère remonte au 1er janvier, lorsque le cadavre d'un déficient mental est retrouvé à proximité de la bourgade. Quatre suspects gitans sont aussitôt interpellés, dont un mineur. Il n'en fallait pas plus pour échauffer les esprits contre les quelque 250 membres de cette communauté, pourtant présents depuis la naissance de Cortegana : les façades des maisons se couvrent de slogans du type «gitans assassins», «On ne veut plus de vous» ; on fait aussi circuler un texte anonyme appelant à des «représailles».Morts de peur. Et, ce dimanche donc, c'est l'explosion. Armés de pierres, de bâtons et de haches, des centaines de manifestants se dirigent vers Las Eritas, le quartier gitan situé un peu en retrait du village, et cognent sur tout ce qui se présente. Ils font voler en éclats pare-brise de voitures et fenêtres, éventrent des portes, avant de brûler des kilos de paille, que les gitans utilisent pour nourrir leurs mules. Quatre gardes civils tentent en vain de s'interposer. «On était barricadés dans nos maisons, toutes lumières éteintes, morts de peur et sans dire un mot. Eux criaient sauvagement, comme si on était en guerre», se souvient Vicente Aguilera.A Cortegana, on assure que la coexistence entre gitanos et payos (non-gitans), longtemps «très pacifique», s'est dégradée ces dernières années. A la mairie, tenue par une coalition de gauche, on invoque deux assassinats traumatisants. En 1999, une dame de 70 ans est tuée chez elle au cours d'un cambriolage. Deux ans plus tard, une trentenaire est poignardée dans des circonstances similaires. Deux accusés, Bernardo et Luciano, de la famille gitane des Montolla, ont été arrêtés. «C'est un village de racistes, s'écrie Vicente Aguilera. Pourquoi devrait-on tous payer pour les crimes de quelques-uns ?» L'argument ne semble pas convaincre la plupart des payos, comme cette commerçante pour qui, «de toute façon, ils n'ont jamais voulu s'intégrer». «Les tensions sont anciennes mais, depuis les assassinats, le sentiment antigitan ne cesse de monter, confie Manuel Sanchez, un journaliste local. Plusieurs manifestations ont eu lieu pour demander des renforts de policiers et de gardes civils, mais il n'y a pas eu de suite. Alors, une peur irrationnelle a fini par désigner tous les gitans comme les coupables à châtier.»Les responsables politiques de la région ont condamné ces «actes impardonnables», mais les élus locaux, eux, sont aux abonnés absents, et personne n'a été interpellé à la suite des actes de vandalisme de dimanche. Le soir, les rues de Cortegana se vident, malgré la présence d'une dizaine de gardes civils, arrivés en renfort pour éviter tout autre débordement. Les slogans racistes peints sur les murs ont beau avoir été effacés, la tension demeure.Groupe menacé. Par solidarité avec les victimes, des collectifs gitans de toute l'Andalousie ont fait le déplacement. «Dans ma famille, à commencer par mon frère, il y a pas mal de gens mariés à des payos, dit Vicente Aguilera. Pourtant, aujourd'hui, quelque chose s'est cassé entre eux et nous. Plus que jamais, j'ai le sentiment de faire partie d'un groupe compact, menacé. Mes ancêtres sont de Cortegana, on ne partira pas d'ici. Et, si jamais ces violences racistes venaient à se reproduire, je jure qu'on saura se défendre.»
