Mort de Rainier III de Monaco
Mort Rainier III de Monaco, le patronIl avait plus de pouvoir que le Roi-Soleil, était le plus ancien chef d'Etat au monde et le souverain le plus titré. Au choix : duc de Mazarin, comte de Farette, sire de Matignon et de Marchais, baron de la Lutumière, prince de Château-Porcien. Ne se plaignit-il pas, auprès du directeur d'un quotidien niçois, d'avoir été cité après le duc de Windsor sur une liste de préséance? Sa famille régnait sur le Rocher depuis le 8 janvier 1297, très exactement, jour où un de ses ancêtres, Lanfranco Grimaldi, dit "le malicieux", se présenta, déguisé en moine, à la forteresse de Monaco, alors tenue par les Génois, se jeta sur les gardes, introduisit sur place une petite troupe et s'empara de la ville. En comparaison, la lignée de bien des têtes couronnées paraissait presque squelettique. Et pourtant, ses sujets l'appelaient "le patron", hommage sincère, bien que peu respectueux, à la manière dont il avait su faire fructifier leur "petite entreprise".Rainier III naît le 31mai 1923 à Monaco. Il passe sa petite enfance au palais, où il a comme précepteur le capitaine Ardant, père de Fanny, fait une partie de ses études en Angleterre, au collège de Summer-Fields, séjourne en Suisse, au Rosey, étudie à la faculté de Montpellier et s'initie à son futur métier à l'école des Sciences politiques de Paris. Engagé, comme beaucoup de ses ancêtres, dans l'armée française en 1939, ce sportif, qui a le goût du risque -il a participé deux fois sous un nom d'emprunt au Tour de France automobile- se distingue en Alsace avec les tirailleurs de Monsabert. Il rejoint la Irearmée lors du débarquement, reçoit la légion d'honneur et la croix de guerre. La bonhomie de son apparence, sa petite moustache, "son visage rose et rond [qui] pourrait convenir à un banquier", ne doivent pas faire illusion. SOUS LE ROCOCO, LES MILLIARDSDerrière ce faux placide, on découvre déjà l'homme de pouvoir. "Il restera dans l'ombre veillant à tout, prévenant les erreurs de cap, taillant en pièces le traître si nécessaire, écartant l'incapable. Cet homme n'a rien d'un faible. Ses colères sont énormes et il doit avoir le mépris terrible", écrira Alain-Marie Carron (Point de Vue du 29 juin 1993).A la mort de son grand-père, Louis II, "un vieux monsieur qui n'avait su être ni tout à fait heureux ni tout à fait populaire", selon la formule de Merry Bromberger, Rainier monte sur le trône le 9 mai 1949, sa mère ayant abdiqué en sa faveur dès 1944. Il a compris que le Rocher doit épouser son siècle et tout son talent sera de remodeler de fond en comble la principauté sans lui faire perdre son charme. Sous le rococo, les milliards.Enfant d'un couple divisé - sa mère, la princesse Charlotte, a divorcé de son mari, le prince de Polignac -, la vie sentimentale de Rainier est tout de suite sous les feux des projecteurs. Un prince célibataire, qui possède treize voitures, trois yachts et deux zoos, qui descend jusqu'à 45 mètres de fond lorsqu'il pratique la plongée sous-marine, qui n'omet jamais de prononcer la formule rituelle "Nous, par la grâce de Dieu", avec une liste civile supérieure à celle de la reine d'Angleterre, ne peut laisser indifférent. On le fiance plusieurs fois, notamment avec une (déjà) actrice de cinéma, Gisèle Pascal, une ancienne bouquetière, qui finit par épouser Raymond Pellegrin. A Monaco comme ailleurs, les sujets sont fiers que leur prince aime et soit aimé, comme si retombaient sur eux quelques fragments de ces bonheurs royaux. 290 MÈTRES DE DENTELLE Mais, à Monaco plus qu'ailleurs, point trop n'en faut et les frasques adolescentes doivent tôt ou tard se traduire en un mariage en bonne et due forme. "Point d'héritier, point de pays!" : telle est l'étrange règle imposée par la France à Monaco pour d'obscures craintes de voir un prince allemand monter sur le trône. En application des conventions franco-monégasques de 1918, la principauté deviendrait un Etat indépendant sous protectorat français si le souverain mourait sans descendance directe ou adoptive! En 1955, ne voyant rien venir de sérieux sur le carnet de bal de Rainier, le conseil national lui adresse même une lettre comminatoire l'interrogeant tout de go sur ses intentions matrimoniales.Il fallut le roi du suspense pour donner un happy end à cette tragédie royale. Durant les vacances de Noël 1955, Alfred Hitchcock tourne La main au collet dans la principauté. Cary Grant saute dans un canot automobile et Grace Kelly reste sur la plage. Un prince passait par là, que voulez-vous qu'il arrivât? Ce grand timide est séduit par cette superbe femme blonde, au sain physique de Californienne, mais au port de tête et à la prestance de l'aristocratie bostonienne. Elle est belle, elle est sage, elle sera reine. "Miss Kelly, avoua le Prince par la suite, était séduisante au premier regard et attachante au fur et à mesure qu'on la connaissait." Réticents devant cette histoire hollywoodienne, les citoyens du Rocher sont vite charmés par le sourire et la classe de Grace. Quelques mois plus tard, le 18 avril 1956, le mariage est célébré dans la liesse populaire. Grace a une robe composée de 46 mètres de tulle de soie et de 290 mètres de dentelle. Rainier a revêtu un uniforme qu'il a dessiné lui même, inspiré de celui des maréchaux d'empire. LES PAPARAZZI SONT LANCÉS Pourtant, en le voyant, presque balourd, à côté de la divine Grace Kelly, comment ne pas se demander qui, de la roturière, américaine de surplus, et du souverain, est le plus aristocrate des deux ? Non, Rainier n'a rien de l'élégante ambiguïté de Cary Grant ou de James Stewart, les partenaires cinématographiques de son épouse. La fête est belle, Ava Gardner, Aristote Onassis, l'Aga Khan et l'ex-roi Farouk sont là. Une fois les serments prononcés, Rainier et Grace font le tour complet de leur empire -en une demi-heure- dans une somptueuse Rolls de la taille d'un carrosse. Si le Daily American, quotidien américain paraissant à Rome, consacre 25 mots à l'événement - "l'actrice américaine Grace Kelly et le prince Rainier III se sont mariés ici aujourd'hui ; personne n'a volé l'anneau de mariage" -, les magazines du monde entier envoient des meutes de reporteurs. Les paparazzi sont lancés et ne lâcheront plus leur proie.