Annonce Quarante-sept clandestins sont morts de faim et de soif sur une embarcation, partie du Cap-Vert en décembre, qui a dérivé quatre mois jusqu'aux Caraïbes.L'odyssée macabre d'un bateau «négrier»La Garde civile (la gendarmerie espagnole) est aux trousses d'un «négrier» responsable de la mort en haute mer de 47 clandestins, en majorité des Sénégalais, dont l'embarcation a dérivé durant quatre mois sur l'océan Atlantique. Partie du Cap-Vert en décembre, elle a été retrouvée au large de l'île de la Barbade, dans les Caraïbes, à plus de 3 000 km de son point de départ. A son bord gisaient onze cadavres momifiés. Des documents retrouvés dans le bateau attestent aussi de la présence de 36 autres personnes. Mortes de faim et de soif, elles auraient été jetées à la mer durant l'odyssée tragique.Grâce aux témoignages de proches et de parents des victimes, les enquêteurs auraient identifié le trafiquant et disposeraient même de son signalement précis. Celui-ci est le propriétaire du Bonnie & Clyde, un yacht en piteux état à bord duquel une cinquantaine de Sénégalais s'étaient embarqués le 24 décembre pour tenter de rejoindre clandestinement l'archipel espagnol des Canaries.Petit commerce. Joint au téléphone par Libération, El Hadji Sano, frère de Malang (27 ans), une des victimes, précise que, hormis trois Guinéens, les victimes venaient toutes de Casamance, une région du sud du Sénégal. Les candidats à l'émigration avaient fait le trajet en avion jusqu'à l'île de Santiago, au Cap-Vert, un point de départ de plus en plus utilisé pour rallier les Canaries. «J'avais laissé à mon frère un petit commerce en Casamance, confie-t-il. Mais, au bout de six mois, il est parti avec la caisse (2 millions de francs CFA) et s'est envolé vers le Cap-Vert.»Le 24 décembre, moyennant, selon El Hadji Sano, 1 200 à 1 500 euros, 53 personnes embarquent sur le Bonnie & Clyde, dépourvu de radio et de système GPS, plusieurs fois réparé aux Baléares et aux Canaries, selon la police espagnole. Au moment de monter à bord, a témoigné dans El Pais Léon, un survivant, les passagers aperçoivent «trois Blancs sur le quai». «Ils parlaient espagnol, assure-t-il, on ne comprenait rien à ce qu'ils disaient.» Le trio leur assure, grâce à un interprète qui parle français, que le voyage vers les Canaries ne durera pas plus de trois jours, alors que les réserves de gasoil permettent de tenir plus d'une semaine.«Lâches». Le propriétaire espagnol confie son embarcation à un «capitaine». Selon Léon, «un Sénégalais appelé Malick Dieng, un sculpteur qui vendait son artisanat aux touristes sur les plages». Le départ se fait de nuit. Mais, au bout de quelques heures, le moteur cale, et il faut rebrousser chemin. Peu rassuré, Léon saute par-dessus bord juste avant le retour à Puerto de Praia, au petit matin. «On s'est vite rendu compte que ce garçon n'avait aucune idée du pilotage d'un bateau», assure Léon. Comme lui, cinq autres Sénégalais renoncent à la traversée. «Les autres nous ont traités de lâches», se souvient le rescapé, qui précise avoir eu toutes les peines du monde à récupérer son pécule versé aux «Blancs» (143 000 escudos, 1 300 euros).Les 47 autres repartent vers le large, guidés par le même «capitaine». Les témoignages recueillis auprès des proches des naufragés font état de deux versions. Pour les uns, le bateau a d'abord été remorqué par un navire avant d'être abandonné à son sort en haute mer. Pour les autres, l'embarcation est tombée à nouveau en panne très rapidement. Sous l'effet de forts courants, elle a ensuite dérivé sur les flots durant quatre mois.Intention criminelle. «Je ne sais pas s'ils ont péri après avoir été abandonnés par un navire ou parce que le moteur n'a pas tenu, mais cela revient au même, commente El Hadji Sano. Dans les deux cas, il y a intention criminelle. Le propriétaire avait amené son bateau au Cap-Vert dans le but de s'enrichir via un trafic d'émigrants. Il savait que son yacht ne valait plus un clou, et il a confié l'embarcation à un type qui ne savait pas naviguer. C'est un assassin, il a tué mon frère et tous les autres.»
