Diffusion Prison «9m2», docu-fiction tourné en réclusion A partir de ce soir, Arte diffuse un feuilleton en cinq épisodes filmé, par des détenus, dans la prison des Baumettes de Marseille. Une première. Certains trouveront que ce «n'est pas assez engagé». Que l'administration pénitentiaire valorise à bon compte une politique culturelle (les ateliers audiovisuels en prison) alors que, par ailleurs, les conditions de détention sont catastrophiques. D'autres, «que c'est du fric foutu en l'air» au regard d'autres priorités. Qu'importe, 9 m2 est une expérience unique pour qui veut comprendre la réalité carcérale. C'est surtout un ovni télévisuel. La prison, d'autres professionnels de l'image (Karlin, Depardon...) s'y sont bien sûr intéressés, mais jamais elle n'a été filmée comme ça, depuis l'intérieur, par les détenus eux-mêmes. Surtout, jamais un tel programme n'a été diffusé sur une chaîne hertzienne à une heure de grande audience (à 20 h 15 sur Arte, à partir de ce soir). 9 m2, feuilleton documentaire de cinq fois 26 minutes, est le résultat d'une «expérience cinématographique». Dans le cadre d'un atelier vidéo organisé par l'association Lieux fictifs, dix détenus de la prison des Baumettes, à Marseille, ont travaillé sur l'image, l'écriture, la mise en scène et l'improvisation, avec deux réalisateurs, Jimmy Glasberg et José Césarini. Les prisonniers ont manifesté leur intérêt sur la base du volontariat; l'administration pénitentiaire a ensuite donné son accord sur des critères de sécurité. A l'arrivée, ce sont des histoires de cohabitation d'un genre spécial, réalisées avec un dispositif tout aussi particulier. Fragments de vie prisonnière, avec ses confrontations, sa solitude, ses amitiés. Incompréhension. Le décor : une fenêtre à barreaux, quatre murs défraîchis et verdâtres, des posters de Zidane ou de filles bien roulées, une porte avec un oeilleton, deux lits superposés, une serviette éponge qui cache l'intimité des toilettes. Dans un coin, la télévision, le tout dans un espace de 9 m2. C'est la superficie d'une cellule que se partagent pendant leur incarcération deux détenus, voire plus, en ces temps de surpopulation des prisons. Pendant une semaine, à raison d'une demi-heure par soir, nous ferons connaissance avec quatre couples de partenaires qui ne se sont pas choisis. On ne saura pas pourquoi ils sont là, ni pour combien de temps. Juste qu'ils doivent vivre ensemble. Philippe l'intello aura du mal à partager l'espace avec William, qui a besoin d'écouter son rap à fond, sa «poésie du bitume», pour vivre. Il y a Momo et Nordine, aux allures de vieux couple, que «leurs traditions musulmanes rapprochent», dit la voix off, ce qui ne les empêche pas de s'engueuler copieusement autour d'une partie de Scrabble. Il y a aussi Roger, l'homme à femmes, le «truand», pas vraiment le genre à s'épancher. Roger, avant son transfert dans une autre prison, partage sa cellule avec Kamel, en attente de son jugement. Il y a cette scène, l'une des plus fortes de 9 m2, où Kamel, écoeuré par son procès ­ son avocat n'est pas venu, la présidente l'a jugé quand même ­, fait passer, les mains tremblantes, son incompréhension de la justice. Et puis il y a Olivier, le petit jeune, le bleu, «tombé» pour la première fois, et briefé d'entrée par Mourad, son codétenu, un obsessionnel de la propreté désireux de trouver avec lui un modus vivendi : «Si nous, on s'entend bien, la détention, elle passe mieux.» Les dialogues sonnent justes ; les saynètes, le décor sont suffisamment crédibles pour donner au téléspectateur l'impression de surprendre les détenus dans leur cellule. Mais l'intérêt de 9 m2, loin de la télé-réalité, c'est que les détenus sont à la fois les «interprètes et les filmeurs de leur propre vie». Ici, pas de voyeurisme malsain, pas question non plus de plaquer des fantasmes pseudo-romantiques sur la prison telle que la voient les gens du dehors : ce sont les détenus eux-mêmes qui se regardent, se racontent et réinventent leur identité avec la caméra DV. Improvisations. «Ce n'est pas anodin de faire entrer une caméra en prison», dit Caroline Caccavale, coordinatrice du projet et fondatrice, avec José Césarini, de Lieux fictifs. «Nous sommes en présence de personnes captives, en permanence sous un regard de contrôle, et cela sans réciprocité : donc, ça nous oblige, nous professionnels de l'image, à nous poser des questions.» Des questions, le téléspectateur s'en pose aussi sur la prison après cette fiction documentaire pour laquelle les prisonniers-interprètes-filmeurs ont été rémunérés, au tarif syndical, en jours de tournage. Il faudra attendre le dernier épisode pour que le dispositif soit entièrement dévoilé : la cellule est en fait un décor reconstitué au sein du studio vidéo des Baumettes. Les scènes que nous avons vues sont des improvisations sur des thèmes travaillés à l'avance. Une révélation tardive que Dominique Barneaud d'Agat Films & Cie, le producteur qui a eu l'idée de faire de la matière de l'atelier vidéo un feuilleton documentaire pour Arte, justifie : «C'est vrai que l'on n'a pas toutes les clefs pour décoder à tout moment le dispositif, mais si on dit d'emblée que c'est une fiction, il n'y a pas de film.» Dans un nouveau montage, l'«expérience cinématographique» menée aux Baumettes devrait connaître un prolongement sur grand écran courant 2005. Sous réserve que le ministère de la Justice donne son aval.