Annonce Pour la première fois de leur histoire, les forains font foire morte aujourd'hui. Ils dénoncent notamment leur relégation loin des centres-ville. p Nouvelle «attraction» dans les fêtes foraines et les cirques : la grève ! Aujourd'hui, tous les manèges de France seront fermés, et les pistes n'accueilleront aucun spectacle. Evénement inédit : jamais les forains n'avaient baissé le rideau en même temps. Pas de trains fantômes, pas d'acrobates, pas de barbe à papa. Plusieurs milliers de forains montent à Paris aujourd'hui. Après une réunion générale à la foire du Trône, une délégation doit être reçue à l'Assemblée dans l'après-midi. Des actions moins contrôlées ne sont pas à exclure, prévient André Campion, délégué de l'intersyndicale des forains et ancien exploitant d'un stand d'autotamponneuses (Marcel, son frère, s'est fait connaître avec une grande roue). Sur le même sujet Sans joie A savoir En ville, la foire n'est plus à la fête Si les forains en sont arrivés là, c'est qu'ils se sentent menacés. «L'intolérance de talibans locaux, les lois mal adaptées à une corporation en perpétuel mouvement, les taxes excessives et la raréfaction des emplacements festifs au coeur de la cité sont autant de problèmes qu'il importe de résoudre dans les plus brefs délais si l'on veut que perdure le métier de tous ceux qui travaillent au bonheur de leurs contemporains», clame l'Institut du monde festif, association qui rassemble les milieux du cirque et de la fête. Principal grief, les villes réduisent peu à peu la surface de leur champ de foire, finissant souvent par reléguer les forains en périphérie, voire par les exclure. Le cirque n'est pas un secteur sinistré, loin de là, même si les situations sont très diverses sous les 250 chapiteaux de France. C'est surtout la fête foraine qui va mal. Les mairies préfèrent organiser leurs propres réjouissances, théâtre de rue et festivals divers. Le monde moderne rêve de sages «son et lumière» et de manèges cantonnés aux parcs de loisirs. «Métiers à vertige». «C'est une tradition pluriséculaire qui est en train de s'éteindre», regrette Zeev Gourarier. Le directeur du musée de l'Homme, qui fut en 1995 commissaire de l'exposition parisienne Il était une fois la fête foraine, estime que l'on n'a pas encore pris la mesure des dégâts. «Aujourd'hui le divertissement populaire est de plus en plus calibré : spectacles de rue subventionnés par les mairies et les commerçants et parc d'attractions où la visite est planifiée, pour une dépense maximale. La fête foraine, c'est l'inverse : le spontané.» Le public familial fréquente plus volontiers les parcs d'attractions que les fêtes foraines, souvent excentrées, laissant ces dernières à une population jeune, friande de manèges extrêmes de «métiers à vertige», comme disent les professionnels. L'ambiance n'est plus la même, et cela renforce la détermination des forains à ne pas quitter les centres-ville, dussent-ils faire le coup de poing. Car le forain est plus sanguin que l'intermittent. «Quand on est délocalisé en périphérie, il faut cinq ou six ans avant que les gens reviennent», plaide André Campion. «Nouveau cirque». Certains, comme les Campion, auraient aimé rapprocher fêtes foraines et théâtre de rue. Après tout, les foires avaient hier une tradition de parades. Mais la greffe n'a pas pris. «Ce sont deux mondes qui se regardent avec beaucoup de méfiance», explique Zeev Gourarier. Le «nouveau cirque», le spectacle de rue et ses «fumeux de pétards» (dixit le patron du cirque Pinder, Gilbert Edelstein) sont constamment raillés par les circassiens. Inversement, les forains traînent une réputation de brutalité et de peu de goût pour la création contemporaine. Les uns dépendent souvent de subventions, les autres vivent une concurrence féroce. Cultures guère miscibles. Quelle peut être l'issue? «Nous demandons d'abord que notre profession soit reconnue», dit André Campion. Car les forains souffrent peut-être d'abord de se sentir méprisés. «On veut nous imposer une taxe de 25 euros par mètre carré sur les "résidences mobiles" et on nous refuse le chèque emploi service.» C'est principalement la dégradation des relations avec les municipalités qui inquiète (lire ci-contre). La tension monte depuis des années. Professionnels peu syndiqués et peu organisés, circassiens et forains ont réagi au coup par coup, sans réelle efficacité. Ce constat les a menés à organiser en janvier 2005 de premières Assises nationales sous le chapiteau de Pinder, pour nourrir les rangs d'une intersyndicale. Rebelote en janvier 2006. C'est alors qu'est né le projet d'une journée morte. Les arts forains restent populaires au coeur de la ville : cet hiver, le succès de la fête foraine organisée dans le Grand Palais l'a amplement prouvé. L'aseptisation du divertissement populaire n'est pas une fatalité. «On se crée des loisirs qui nous ressemblent», rappelle Zeev Gourarier. Alors qui sommes-nous ?