Annonce Place de la Nation: ombres d'une bavure Récits contradictoires sur la charge de CRS et interrogations sur la prise en charge médicale du syndicaliste. par Karl LASKE et Jacky DURAND et Eric FAVEREAU De source médicale, l'état de santé de Cyril Ferez, le manifestant du syndicat SUD plongé dans le coma depuis dimanche, s'était stabilisé, hier en début de soirée. Un scanner effectué dans l'après-midi montrait une «stabilité de l'hématome cérébral». Cyril semblait réagir légèrement aux stimulations, mais le pronostic restait «réservé». Des témoins du tabassage de samedi étaient entendus, hier, par l'Inspection générale des services (IGS). Retour sur les faits. 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Le plus haut responsable policier présent sur place s'appelle Pierre Mure, directeur de l'ordre public et de la circulation (DOPC). Le préfet Pierre Mutz peut suivre, depuis son bureau, sur huit écrans, différents points de vue du théâtre des opérations. «Mais ce genre de manifestation à haut risque est suivi opérationnellement par le ministre, souligne un fonctionnaire. On ne peut pas prendre de décision d'évacuation sans en référer. Surtout si les manifestants continuaient de converger vers la Nation.» Les témoignages des pompiers contredisent-ils ceux des témoins ? Non. Un premier incident a eu lieu : des images vidéo montrent Cyril remis sur pied par des gendarmes mobiles. Il fait jour. C'est avenue de Bouvines, où ont lieu les premiers affrontements. Cyril parvient à marcher. «Il a été conduit en état d'ébriété par les gendarmes aux sapeurs-pompiers, note un commissaire. Il a refusé d'être pris en charge, et il est retourné sur la place.» Les pompiers constatent «une légère bosse au front» lorsque Cyril, «écarté de la zone d'intervention», leur est remis, vers 19 heures. Mais deux blessés arrivent. Cyril en profite pour s'éclipser. Le tabassage survient une heure plus tard. La nuit est tombée. A la Nation, CRS et gendarmes mobiles ont chargé. Mais deux groupes de CRS avancent sur le terre-plein central. C'est là que plusieurs témoins ­ photographes et manifestants voient Cyril happé par un peloton de CRS. Tous s'accordent à le décrire piétiné et frappé. Placés à des endroits différents, certains l'ont vu assis, d'autres debout. Des témoins évoquent un second manifestant victime de coups. Sur l'un des clichés, on voit un CRS lever sa matraque sur Cyril alors que ses collègues le piétinent dans un mouvement de recul. Il est 19 h 51. Quel était l'état de santé de Cyril au moment de son évacuation ? Une fille a crié : «Vous l'avez tué !» Les CRS se sont éloignés, laissant Cyril sur le sable. «Deux étudiantes sont parties chercher les pompiers», témoigne Sandra Lemarque, de SUD PTT. Cyril reprend connaissance à leur arrivée, vers 20 h 10. Ils lui posent une minerve avant de l'emmener sur une chaise roulante. Selon les pompiers, Cyril aurait été «parfaitement conscient et vif» une fois dans leur véhicule. «Il a fallu le convaincre de la gravité de son état», souligne un officier. Un CRS secouriste, présent lors de l'évacuation, a fait parvenir un témoignage manuscrit à l'IGS, opportunément rendu public dès hier. Cyril lui aurait déclaré «qu'en aucun cas l'agression dont il avait été victime n'était due aux forces de l'ordre». Mieux : «Il m'a avoué avoir eu une altercation avec d'autres manifestants, qui l'auraient agressé.» Le CRS en question n'est pas témoin des faits. Cyril est conduit à l'hôpital Saint-Antoine, où il est admis à 21 h 14. A-t-il bénéficié des soins médicaux adéquats ? Samedi est certes un soir d'affluence, mais Cyril ne voit un médecin qu'à minuit. Puis à 3 heures du matin, dimanche. Le patient est «calme», il reste sous surveillance. C'est à 4 h 45 qu'il tombe dans le coma et chute de son brancard. Il est transféré au service de réanimation. Une heure plus tard, un scanner est fait. Compte tenu des risques d'hémorragie cérébrale, Cyril est transféré vers 9 heures à l'hôpital Henri-Mondor à Créteil. De son alcoolémie (2 grammes), relevée au matin, on déduit qu'elle devait s'élever à 2,7 g au moment des faits. Les autorités ont-elles dissimulé la bavure ? Dimanche, à 12 heures, la préfecture transmet un bilan des heurts. On dénombre 52 blessés. «Personne n'a été blessé grièvement ni hospitalisé», indique la préfecture, citée par l'AFP. Cyril est pourtant dans le coma. Sandra cherche des nouvelles auprès des hôpitaux, sans en obtenir. C'est finalement le syndicat SUD, lundi après-midi, qui révèle l'information. Dans la soirée, la préfecture fait savoir qu'elle a été avisée, la veille, de l'hospitalisation «dans un état sérieux» d'un «homme blessé lors des échauffourées» consécutives à la manif anti-CPE. Hier soir, Jean-Claude Marin, procureur de la République de Paris, a indiqué qu'«aucune hypothèse n'est privilégiée» dans l'enquête.