Annonce Pillage à tous les rayons de la BNF25 manuscrits et 121 imprimés ont été volés. Déjà mis en examen, le conservateur Michel Garel pourrait ne pas être seul en cause. Enquête. mbiance à la Bibliothèque nationale de France (BNF). Après le choc de la mise en examen du conservateur des manuscrits hébraïques, Michel Garel, soupçonné de vols (Libération du 31 juillet), dont au moins un manuscrit du XIIIe siècle, le dernier pointage effectué par la direction de l'établissement donne le tournis : 25 manuscrits (dont cinq en hébreu) et 121 imprimés ont été volés au cours de ces dernières années. C'est la plus grande affaire de pillage jamais recensée au sein de la BNF. En interne, on murmure qu'il est «impossible que Garel ait fait ça tout seul». Parmi les pièces recensées manquantes (parfois simplement des pages arrachées d'un livre), essentiellement hébraïques, il y a aussi trois corans, et des figures érotiques persanes. Une source proche de l'enquête confirme : «Garel n'est sûrement pas le seul voleur de la BNF, on ne l'accuse pas de tout.» Son avocat, Me Lev Forster, peut lâcher : «Il a le dos très large, on veut faire de lui un bouc émissaire.»Reliure. L'enquête va également s'élargir à d'éventuelles complicités. Ainsi, l'un des manuscrits volés était inclus dans un ouvrage contenant deux volumes, dont un seul a été dérobé. La reliure en cuir a ensuite été modifiée (par réduction du dos) afin que la disparition ne se voie pas à l'oeil nu. Un véritable travail d'orfèvre, que seul des spécialistes peuvent réaliser. Et tout le monde est au moins d'accord sur ce point : «Techniquement, Garel en est incapable.» Mais il était également en charge de l'atelier de la BNF, tous les ouvrages à restaurer transitant par lui. Le travail a cependant pu être fait à l'extérieur de l'établissement.Le conservateur suspendu depuis sa mise en examen pour vol aggravé, son contrôle judiciaire lui interdisant de mettre les pieds dans une bibliothèque, privée ou publique reste néanmoins au coeur de l'affaire. La fameuse bible, dite «manuscrit 52», d'une valeur inestimable, avait bénéficié en 1998 d'une autorisation d'exportation, signée du ministère de la Culture, sur avis du conservateur des manuscrits hébreux. Cette demande de sortie du territoire avait été déposée par un galeriste parisien, une relation de Michel Garel. Selon son témoignage (révélé par l'Express du 9 août), c'est Garel en personne, affirmant tenir l'oeuvre de son père, qui lui aurait demandé de la déposer à sa place. Indirectement, il se serait donc adressé à lui-même une autorisation de sortie, à propos d'un livre dont il était pourtant chargé de la conservation...Michel Garel admet avoir signé ce document (la seule trace matérielle du forfait), mais nie avoir transporté le manuscrit 52 à Londres, où il sera revendu une première fois 80 000 dollars à un riche collectionneur, avant de flamber à 300 000 dollars lors d'une vente new-yorkaise chez Christie's, en mai 2000, comme si de rien n'était. La BNF elle-même ne portera plainte pour vol qu'en décembre 2000, sans encore faire le lien avec la vente aux enchères. Ce n'est qu'au printemps dernier qu'un professeur de l'université de Jérusalem, à qui l'ultime propriétaire avait soumis l'ouvrage, reconnaîtra le manuscrit 52, bien que retaillé et désestampillé (les tampons officiels de la BNF en avaient été retirés). Sans l'oeil averti de cet érudit, on n'aurait peut-être jamais retrouvé sa trace.Apports. Michel Garel nie les vols, mais des collectionneurs affirment lui avoir acheté des feuillets (des pages d'un livre), et pas seulement en hébreu ; son patrimoine personnel est donc épluché. Comme cet appartement parisien acheté près de trois millions de francs en 1998, financé pour un tiers par emprunt, aux deux tiers par des apports qui restent à éclaircir : selon le conservateur, l'argent proviendrait d'expertises qu'il lui arrivait d'effectuer et d'un don d'un membre de sa famille. D'éventuels comptes au Luxembourg ou en Israël sont également recherchés. Son épouse, spécialiste de manuscrits coptes au CNRS (elle organise actuellement une exposition à la BNF), a été mise en examen pour recel, au simple motif qu'elle partage l'appartement.La personnalité de Michel Garel n'est peut-être pas neutre. Ce personnage excessif détonait dans l'univers feutré de la BNF. «Un peu fantasque, rien du conservateur névrosé derrière ses petites lunettes, souligne un syndicaliste. Il ouvrait souvent sa gueule.» En 2000, il s'était opposé au retour des pointeuses, supprimées depuis une quinzaine d'années. Avant son interpellation, il était sous le coup d'une procédure de sanction administrative pour un problème hiérarchique sans lien avec l'affaire. Au printemps dernier, alors que l'enquête commençait à le cerner, il intervenait dans un colloque sur la sécurité des bibliothèques, apostrophant la salle sur les vols commis par les chefs d'Etat. Allusion à François Mitterrand qui, lors d'un voyage en Corée en 1993, avait offert à son homologue un vieil ouvrage coréen, malgré l'opposition outrée de la BNF.
