Mort de Philippe Muray

Mort Philippe Muray, écrivain et polémiste L'écrivain et polémiste Philippe Muray est mort jeudi 2 mars des suites d'un cancer du poumon. Avare de détails sur sa propre vie, il n'avait fourni à ses éditeurs que quelques renseignements indispensables. Il est né à Angers, en 1945, d'un père écrivain et traducteur d'auteurs anglo-saxons (Jack London, Melville, Kipling, Barbara Cartland...) et a fait des études de lettres à Paris. Durant quelques mois, en 1983, il enseigne la littérature française à l'université Stanford, en Californie. C'est là qu'il rassemble la matière de son livre le plus important, Le XIXe siècle à travers les âges, publié par Philippe Sollers chez Denoël, en 1984 (réédition Gallimard, 1999), fresque foisonnante et audacieuse dans laquelle Muray souligne l'importance, à ses yeux fondatrice, de l'occultisme et du socialisme, notamment dans la littérature. Auparavant, il avait publié un essai controversé sur Céline (Seuil, collection "Tel Quel", 1981, réédition Gallimard, 2000), dans lequel il refusait de séparer le romancier "présentable" du Voyage au bout de la nuit et le pamphlétaire antisémite de Bagatelles pour un massacre. Au travers de ses thèses sur la littérature, proches des positions défendues par Philippe Sollers et le groupe Tel Quel, on voit se profiler l'esprit hautement provocateur de Philippe Muray. Un esprit qui se rattache à la tradition réactionnaire et contre-révolutionnaire illustrée par Joseph de Maistre ou Léon Bloy. Le monde moderne, l'idée de progrès et d'humanisme, l'amnésie qui l'accompagne, dans le cas de Bloy comme dans celui de Muray, représentent l'Ennemi. Dans des chroniques nombreuses, publiées d'abord dans des journaux et des revues (de la Revue des Deux Mondes, Art Press et L'Infini à L'Idiot international, La Montagne et Marianne) puis reprises en volumes (Après l'Histoire I et II, Les Belles Lettres, 1999 et 2000, et quatre volumes d' Exorcismes spirituels, id. 1997-2005), Philippe Muray n'a cessé de combattre cet ennemi sous ses diverses figures. Sa prose, conformément à la tradition à laquelle il appartient, est riche de formules et de raccourcis. "Je n'ai pas cherché, écrit-il, à donner un tableau de notre société. J'ai fait l'analyse de l'éloge qui en est fait." Ou bien la même idée exprimée autrement : " Ce devant quoi une société se prosterne nous dit ce qu'elle est." A l'image de Céline, mais avec un esprit critique développé, Philippe Muray se veut le chroniqueur et le contempteur du désastre contemporain, cette époque où " le risible a fusionné avec le sérieux", où le "festivisme" fait loi. Cependant, c'est moins le nihilisme qui anime le pamphlétaire que le désir de stigmatiser, par le rire, la dérision et l'outrance de la caricature les travers de notre temps. Il inventa pour cela (dans Après l'Histoire) une figure emblématique de ce temps : l'"Homo festivus", c'est-à-dire le citoyen moyen de notre "post-humanité", "fils naturel de Debord et du Web" - Guy Debord, qu'il nomme avec humour "le rebelle de confort" ! A l'écart d'une vision étroitement nihiliste, il a le projet, contre le "règne du Bien", de "réintroduire le négatif pour montrer que lorsqu'on l'évacue, on ne peut plus rien comprendre". Auteur de romans (Chant pluriel, son premier livre, Gallimard, 1973 ; Postérité, Grasset, 1988 ; On ferme, Les Belles Lettres, 1997), d'un essai sur Rubens (Grasset, 1991) et d'un recueil de poèmes comiques (Minimum Respect, Les Belles Lettres, 2003), Philippe Muray était proche d'écrivains comme Michel Houellebecq et Maurice G. Dantec. En 2002, avec notamment Alain Finkielkraut, Marcel Gauchet, Pierre Manent et Pierre-André Taguieff, il signa un "manifeste pour une pensée libre" contre le livre de Daniel Lindenberg, Le Rappel à l'ordre (Seuil), qui le rangeait dans la catégorie des "nouveaux réactionnaires". De fait, dans deux livres récents - Chers djihadistes... (Mille et Une Nuits-Fondation du 2 mars, 2002) et surtout Festivus festivus, conversations avec Elisabeth Lévy (Fayard, mars 2005), il radicalise sa détestation du monde moderne et de tous ses représentants, des altermondialistes au maire de Paris, du Tribunal pénal international au journal Le Monde.