Scandale Philippe Dutilleul, coauteur de l'émission de la RTBF qui annonçait l'indépendance de la Flandre, défend ce faux journal télévisé :«Les Belges y ont cru car notre scénario est crédible»L'émission choc de la RTBF (radiotélévision publique) de mercredi soir, qu annonçait dans un vrai-faux journal télévisé que la Flandre venait d déclarer son indépendance (lire ci-contre), a semé la panique à Bruxelles e dans le sud (francophone) du pays : 89 % des téléspectateurs y ont cru Quatre jours après la diffusion, les réactions continuent de pleuvoir comme Gravelotte. Ainsi que le reconnaît le Premier ministre de Wallonie Elio D Rupo, «l'émission a permis une prise de conscience forte». Les partis francophones belges se mettent en ordre de bataille pour résister aux Flamands qui veulent continuer à vider l'Etat fédéral de sa substance. Le PS, le MR (libéraux), le CDH (sociaux-chrétiens) et Ecolo vont se retrouver, le 20 décembre, pour préparer une ligne de défense commune avant les élections législatives du printemps 2007. Les partis flamands ont en effet prévenu qu'ils ne participeraient à un gouvernement fédéral qu'à condition de récupérer, entre autres, la politique de l'emploi et une grosse partie de la sécurité sociale.Sur le même sujet A 20 h 50, un bandeau : «Ceci est une fiction»Philippe Dutilleul, 55 ans, est le coauteur, avec Jean Libon, de l'émission de mercredi. Il est notamment membre de l'équipe de Strip-tease et de Tout ça (ne nous rendra pas le Congo), et vient de publier un livre qui raconte les deux ans d'enquête qui ont précédé son film ( Bye-bye Belgium, éd. Labor).N'avez-vous pas franchi la ligne rouge en confondant information et fiction ? C'est un faux procès. Dans les médias et plus particulièrement à la télévision, le politiquement correct règne et tout est banalisé : on met une déclaration de Chirac sur le même pied que 100 millions de déplacés, qui eux-mêmes sont mis sur le même pied qu'un fait-divers. Ce n'est pas moi qui ai inventé cette confusion des genres : voyez comment les politiciens jouent aux faire-valoir dans des émissions de variétés. J'ai voulu m'introduire dans cet espace glauque d'exposition médiatique. Certes, j'ai poussé le bouchon un peu loin, mais il fallait créer un effet de surprise, imaginer une forme d'écriture particulière pour attirer l'attention du téléspectateur. Nous avons pris nos responsabilités afin de porter un débat fondamental sur la place publique. Il faut avoir conscience qu'en Belgique les grands débats sont confisqués par le monde politique. Qui parle de l'avenir du pays ? Quatre présidents de parti. C'est inacceptable !Le téléspectateur pouvait parfaitement croire qu'il s'agissait d'un journal télévisé normal. N'avez-vous pas pris le risque de décrédibiliser l'information ? Je ne le pense pas. Ce faux JT suivait le vrai et nous avons prévenu dès le début qu'il s'agissait d'une fiction. En haut à gauche figurait le sigle de l'émission Tout ça (ne nous rendra pas le Congo) et, après une demi-heure, nous avons mis en permanence le bandeau : «Ceci est une fiction.» Une anecdote : le jeudi précédant le passage à l'antenne, nous avons montré l'émission à quelques responsables de l'unité documentaire de la RTBF, qui nous ont dit : «Vous ne surprendrez personne avec ça ! Ça n'est pas crédible !» N'êtes-vous pas sidéré que les gens aient cru à la partition de la Belgique ? On peut poser la question autrement : lorsque les gens regardent la télévision ou écoutent la radio, que comprennent-ils vraiment ? On a comparé notre émission à l'émission radio d'Orson Welles, en 1938, qui avait semé la panique aux Etats-Unis en lisant la Guerre des mondes, de Wells. Mais, à l'époque, on ne vivait pas dans la société de l'information ! Mercredi, il suffisait d'aller voir ailleurs, sur les autres chaînes ou sur l'Internet, pour se rendre compte qu'il s'agissait d'une fiction. Mais peut-être les téléspectateurs y ont-ils cru parce que le scénario est terriblement crédible. Cette émission a révélé que, dans une part non négligeable de la population francophone, la peur de l'implosion de la Belgique est présente, une peur qui n'existe pas en Flandre. Elle montre aussi que les citoyens ne sont pas vraiment informés sur la réalité des tensions communautaires : ils se sentent démunis. Cela confirme bien que le débat a été confisqué par quelques politiciens.Le président des libéraux francophones et ministre des Finances Didier Reynders réclame des «sanctions fortes» contre ceux qui ont conçu et diffusé cette émission... Cela montre à quel point l'indépendance des médias pose encore problème à certains politiciens. Comme le dit l'administrateur général de la RTBF Jean-Paul Philippot, s'il n'y a plus de liberté éditoriale, autant mettre la clé sous la porte !Croyez-vous que la Belgique va éclater ? Je crois cet éclatement inéluctable si l'Etat n'est pas réformé en profondeur : nos moeurs politiques, surtout en Wallonie, doivent changer, l'unilinguisme régional doit être remis en cause, etc. Je me sens belge, mais si c'est pour garder un pays qui n'est plus qu'une coquille vide, franchement, je ne vois pas l'intérêt. Si, entre Flamands et francophones, on n'est plus d'accord, faisons le constat du divorce.
