Crise Perquisitions au "Point" et à "L'Equipe" La justice a saisi des documents et des ordinateurs pour tenter de connaître les sources de plusieurs journalistes dans l'affaire Cofidis. Il est presque 10 heures, jeudi 13 janvier, lorsque la juge d'instruction du tribunal de Nanterre (Hauts-de-Seine), Katherine Cornier, fait son apparition dans les locaux du Point, près de la tour Montparnasse. Son but : perquisitionner les locaux de l'hebdomadaire pour identifier les sources d'information de trois journalistes, Christophe Labbé, Jean-Michel Décugis et Olivia Recasens, qui ont enquêté sur l'affaire Cofidis, une équipe cycliste soupçonnée de dopage. La perquisition s'inscrit dans le cadre d'une enquête pour violation et recel du secret de l'instruction en marge de l'affaire Cofidis ouverte par le parquet de Nanterre. Cette arrivée inopinée ne passe pas inaperçue. La juge est accompagnée d'une douzaine de personnes : des policiers, trois informaticiens prêts à ausculter les ordinateurs et un spécialiste des télécommunications. Très vite, les médias sont alertés ; représentants des télévisions, des radios et de la presse écrite se bousculent dans les couloirs et guettent les va-et-vient de la juge, qui se montre quelque peu agacée par le manège. Le groupe repart vers 12 h 30, emportant deux ordinateurs, la copie imprimée de mails d'un des journalistes et la carte de visite d'un ancien commissaire divisionnaire de la brigade des stupéfiants. FOUILLE DES ORDINATEURS Au même moment, à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), le même type de scénario se déroule. A 10 h 30 environ, une douzaine de personnes, menées par Isabelle Prevost-Desprez, juge d'instruction également à Nanterre, entrent dans le bureau de Christophe Chenut, directeur général du groupe L'Equipe, pour lui signifier le début d'une perquisition. Sont particulièrement visés Dominique Issartel et Damien Ressot, deux journalistes du quotidien sportif, qui ont aussi enquêté sur l'affaire Cofidis. Pendant près de deux heures et demie, les policiers, avec le renfort d'experts en informatique, fouillent les bureaux et ordinateurs des deux journalistes. Ils prennent des notes sur ce qu'ils trouvent dans les machines et épluchent méticuleusement les carnets, explique un journaliste présent. "La perquisition s'est terminée un peu après 13 heures, raconte M. Chenut, les policiers sont repartis avec un mail imprimé sous scellés. Ils sont ensuite allés perquisitionner aux domiciles des deux journalistes." Les trois journalistes du Point et leurs deux confrères de L'Equipe dont la justice souhaite connaître les sources ont écrit sur l'affaire Cofidis. Le 22 janvier 2004, l'hebdomadaire publiait des extraits d'écoutes téléphoniques ordonnées par le juge de Nanterre Richard Pallain, chargé du dossier. Le 9 avril, le quotidien sportif reproduisait dans ses colonnes de larges extraits des procès verbaux d'audition de plusieurs coureurs de l'équipe Cofidis. A la suite de ces fuites, une enquête pour violation du secret de l'instruction a été ouverte. Mme Cornier a entendu les journalistes du Point, qui ont refusé de révéler le nom de leurs informateurs, comme les y autorise l'article 109 du code de procédure pénale et les interprétations de la Convention européenne des droits de l'homme. En décembre, par commission rogatoire, elle a demandé que lui soit livrée la liste des numéros de téléphone des salariés du Point. La direction de l'hebdomadaire s'est contentée d'envoyer l'organigramme de l'entreprise. Face à ce refus, la juge a donc choisi de lancer une perquisition. Isabelle Prevost-Desprez, de son côté, a entendu les journalistes de L'Equipe, qui ont refusé également de dévoiler leurs sources. Au Point, après le départ de Mme Cornier, une assemblée générale a rassemblé les salariés dans l'atrium du magazine, à l'initiative de la société des rédacteurs (SDR). "Donner nos sources d'information c'est absolument impossible, parce que si un journaliste commence à donner ses sources, il n'est plus digne d'exercer cette profession", a réagi Franz-Olivier Giesbert, vice-président du Point, ajoutant : "Nous abordons un tournant dans l'histoire de la presse. Même si le travail était remarquable, l'enquête sur Cofidis n'était pas l'affaire du siècle. Cette perquisition est une forme d'avertissement. Il faut que la presse se mobilise." François Malye, de la SDR du Point, s'interrogeait sur le sens à donner à cette "démonstration de force" et a dénoncé "une atteinte grave portée au secret des sources des journalistes et à la liberté de la presse". Même émotion à L'Equipe. Alors que M. Chenut tenait à souligner "la solidarité absolue du journal envers ses deux journalistes", Claude Droussent, directeur de la rédaction, affirme dans son éditorial du quotidien vendredi : "Au-delà de la saisie de quelques documents, nous avons été particulièrement choqués, hier à L'Equipe, que notre journal et surtout que deux de ses collaborateurs puissent être les cibles, comme nos confrères du Point,d'une opération visant visiblement à intimider des femmes et des hommes dans l'exercice le plus naturel de leur profession : informer." RÉACTIONS D'INDIGNATION Cette perquisition est une première dans l'histoire du quotidien sportif. Plus globalement, ce type de mesure est rare en France. Une perquisition avait notamment été conduite en 1998 au domicile du journaliste Gilles Millet, qui enquêtait sur l'affaire Erignac. Les policiers avaient aussi fouillé les locaux du Canard Enchaîné en 1996 dans le cadre de l'enquête sur le meurtre de Yann Piat. En dehors des deux journaux visés par les perquisitions, les réactions d'indignation étaient multiples. Pour le Syndicat de la presse magazine et d'information (SPMI), ces opérations policières "ne peuvent que susciter une immense inquiétude sur les conditions futures d'exercice du métier de journaliste, et sur le respect du secret des sources, essentiel à la liberté d'expression". De son côté, la Fédération nationale de la presse française (FNPF) souligne que "cette mesure d'intimidation" rend "d'autant plus urgente la mise à jour de la législation".