Mort de Paul Roazen

Mort Paul Roazen, historien du freudisme Né à Boston le 14 août 1936, Paul Roazen est mort à Cambridge (Massachusetts) le 3 novembre, alors qu'il travaillait à une nouvelle exploration des relations entre Sigmund Freud et William Bullitt. Il était membre de la prestigieuse revue anglaise, Psychoanalysis and History, dirigée par John Forrester. Historien du freudisme, formé aux sciences politiques et sociales, il avait enseigné dans plusieurs universités, notamment à Toronto, à Oxford et à Harvard. Il se fit connaître, dès 1969, par un ouvrage consacré à Viktor Tausk, Animal, toi mon frère (Payot, 1971), dans lequel, grâce à une enquête minutieuse, il dévoilait les relations difficiles que celui-ci avait entretenues avec Freud et qui avaient été occultées par l'historiographie officielle. On y découvrait pour la première fois la personnalité sauvage de ce brillant disciple du maître, amant de Lou Andreas-Salomé, et qui avait fini par se suicider après une analyse avec Helene Deutsch. Roazen se fit ensuite le chroniqueur de la mémoire orale du mouvement psychanalytique. A l'aide d'un nombre impressionnant de témoignages de tous les survivants, qui avaient connu Freud et son premier cercle, il construisit la première étude biographique du milieu psychanalytique : réseaux de pouvoirs, filiations, liens transférentiels et générationnels, vie quotidienne, etc. Surtout, il donna une place importante à ceux des disciples dont la trajectoire avait été déformée ou refoulée pour les besoins de l'hagiographie : Hermine von Hug-Hellmuth ou Ruth Mack-Brunschwick. Il fut aussi le biographe et l'ami d'Helene Deutsch qui lui transmit ses archives. Son œuvre majeure, La Saga freudienne, publiée en 1971 (PUF, 1986), traduite en de nombreuses langues et sans cesse rééditée, eut un succès mérité. Elle permit aux historiens de prendre conscience que la vie quotidienne des freudiens de la deuxième et de la troisième génération — les émigrés notamment — avait une importance considérable pour la genèse des concepts et de la pratique clinique. IMMENSE DÉBAT A cet égard, l'œuvre de Roazen fut rejetée par l'International Psychoanalytical Association (IPA). Celle-ci reprochait à l'auteur son goût pour l'anecdote, mais surtout, à travers cette critique, elle refusait aux historiens le droit de mettre en cause les légendes dorées que les pionniers du mouvement avaient pieusement transmises à leurs élèves. Et comme Roazen n'était pas psychanalyste, il ne cessa d'être brocardé par les cliniciens soucieux d'interpréter l'histoire en des termes prétendument "freudiens". A plusieurs reprises, sa manière de reconstruire l'histoire, à partir de l'archive orale, fut donc mise en cause. Gardien des Sigmund Freud Archives, déposées à la Library of Congress, Kurt Eissler, grand maître orthodoxe de l'historiographie freudienne, lui opposa sans cesse de solides arguments. Mais grâce à de telles polémiques un immense débat fut lancé entre les conservateurs et les progressistes, ce qui contribua à donner un élan fécond à la recherche historique. A l'évidence, les ouvrages de Roazen sont devenus indispensables à qui veut comprendre l'histoire si charnelle et si passionnelle de la saga freudienne.