Condamnation Pas de pitié pour le héros de BourgoinLe droit pénal a été conçu pour la défense de l'ordre social, pas pour celle d'intérêts privés." Cette phrase, l'avocate générale, Françoise Pavan-Dubois, a dû la prononcer souvent devant la cour d'assises. Des mots d'ordinaire nécessaires pour tenter d'apaiser les parties civiles, leur expliquer que la justice n'est pas la vengeance et que la sanction pénale ne saurait être la réparation de leur drame. Elles ont pris un tout autre sens, vendredi 10 novembre, à l'écoute du verdict qui a condamné Marc Cécillon à vingt ans de réclusion criminelle. Après cinq jours d'audience et cinq heures de délibéré, la cour et les jurés ont reconnu l'ancien rugbyman coupable du meurtre avec préméditation de sa femme Chantal, un soir d'août 2002, à l'occasion d'une soirée chez des amis.La veille, Angélique, la fille aînée de l'accusé, s'était levée une dernière fois pour inciter la cour et les jurés à la clémence. "Mon père n'a pas pu vouloir une chose pareille. Je pense qu'aujourd'hui, il est déjà puni." C'est à elle et à sa soeur cadette, Céline, que l'avocate générale avait tenu à s'adresser en ouvrant son réquisitoire. La peine de quinze ans de réclusion criminelle qu'elle s'apprêtait à requérir était la "sanction d'un trouble social" et "elles n'avaient pas à s'en mêler". "Elle est destinée à compenser la déchirure de l'ordre social, quelles que soient les exhortations des victimes." La cour et les jurés de l'Isère l'ont écoutée, qui sont allés largement au-delà de ses réquisitions."JE T'AIME QUAND MÊME"Cet avertissement brutal était venu en conclusion de l'audience, où tant l'avocate générale que le président de la cour d'assises, Jean-Pierre Béroud, avaient semblé vouloir tenir à distance ce qui s'exprimait dans la salle et qui, à bien des égards, était exceptionnel.Il y avait là deux familles, celle de Chantal et celle de Marc Cécillon, qui continuaient à se parler malgré l'épreuve et se retrouvaient souvent entre les audiences. Des amis qui, pour la plupart, avaient été ceux du couple et qui le restaient. Tous refusaient d'engloutir plus de vingt ans de la vie de Marc et de Chantal Cécillon dans cette soirée du 7 août 2002, à l'image d'Angélique qui, en larmes, avait lancé à son père : "Je te pardonnerai jamais, mais je t'aime quand même." Sur leurs mots était entré dans la cour d'assises l'univers familier de gens qui se sont aimés, appréciés, ont été longtemps heureux ensemble. Ils disaient la détresse mais jamais la haine.Le témoignage le plus digne fut sans doute celui de la mère de Chantal. D'une voix calme, Marinette Chapuis avait raconté les confidences de sa fille sur ses difficultés conjugales des derniers mois mais aussi les déjeuners en famille, l'affection qui la liait à Marc Cécillon - "Il me disait que j'étais sa deuxième maman" - et ses tentatives pour essayer de préserver leur couple. C'est elle qui l'avait accompagné une première fois chez le médecin, pour qu'il cesse de boire. "Il lui a donné un traitement, ça a duré quelques mois. Chantal m'avait dit : "Maman, c'est le Pérou !"." De celui qui a tiré sur sa fille, Marinette Chapuis avait dit encore : "Marc aimait Chantal. Bien sûr, elle savait qu'il ne lui avait pas toujours été fidèle, mais elle supportait cela mieux que l'alcool." La soeur et le frère de Chantal avaient parlé eux aussi du beau-frère qu'ils aimaient. "Marc, c'était quelqu'un. On en était fiers."Face à cela, la justice a dressé des barrières là où il y avait des liens, dispensé d'inutiles leçons de morale, comme s'il fallait à tout prix noircir le tableau de la vie de Marc Cécillon.MARI VOLAGE ET BRINGUEURIl ne faisait pas bon être témoin devant cette cour d'assises, face à un président et à une avocate générale soucieux de rappeler les frasques et de traquer les antécédents de violence de Marc Cécillon. A une femme tremblante, toujours employée dans la ville de Bourgoin - dont une bonne moitié du public de la cour d'assises était originaire -, Françoise Pavan-Dubois a longuement demandé de lui détailler la relation intime qu'elle avait entretenue avec l'ancien rugbyman dans les mois précédant le drame. "Il allait se promener avec vous l'après-midi ? - Euh, non, avait répondu la dame. - Il vous emmenait dîner le soir ? - Non plus, avait-elle murmuré, de plus en plus gênée. Il passait me voir le matin, je lui faisais le café, avait-elle ajouté doucement. - Alors, si je comprends bien, il venait, faisait ce qu'il avait à faire et repartait ?", avait ironisé l'avocate générale.De cette vie ensuite reconstruite jusqu'à la caricature par le réquisitoire, l'avocat de la défense, Me Richard Zelmati a eu du mal à nuancer le trait. "Oui, c'était un mari volage, oui, c'était un bringueur, oui, il lui arrivait de travailler au noir mais Marc Cécillon n'a jamais voulu tuer sa femme."Celui qui, ce soir-là, rentre chez lui et prend son arme avant de repartir à la soirée organisée chez ses amis est d'abord, a-t-il rappelé, un homme profondément dépressif, avec près de 3 grammes d'alcool dans le sang. De l'altération de son discernement au moment des faits, que Me Zelmati leur demandait de reconnaître, la cour et les jurés n'ont pas voulu. A son avocat et à tous ceux pour lesquels Marc Cécillon "n'était pas lui-même", la cour d'assises de l'Isère a répondu que ce soir-là, il ne l'était sans doute que trop.
