Mort de PaKin

Mort PaKin n'écrira pas l'hiver Dernier géant de la littérature chinoise d'avant l'ère communiste, l'auteur de la trilogie «Famille», «Printemps», «Automne» (1937-1940), témoignage sur la Chine féodale, est mort hier à 100 ans. Pa Kin, le dernier «géant» de la génération d'écrivains chinois d'avant l'ère communiste, s'est éteint hier à Shanghai à l'âge de 100 ans. On ne saura sans doute jamais s'il a succombé à la maladie, comme l'annonce l'agence officielle Chine nouvelle, ou si sa famille et les autorités chinoises ont finalement accédé à sa demande d'euthanasie, comme il le réclamait en vain depuis des années. Il est mort, en tout cas, sans jamais avoir reçu ce prix Nobel de littérature qu'espérait tant pour lui le pouvoir chinois, ne serait-ce que pour laver l'affront du prix attribué en 2000 à Gao Xinjiang, l'écrivain exilé et naturalisé français, toujours honni et proscrit à Pékin. Sur le même sujet A lire ou relire Honneurs à la tonne. Pa Kin, en revanche, a reçu tous les honneurs du régime chinois, restant jusqu'à sa mort, malgré son incapacité, président en titre de l'association des écrivains chinois, vice-président de la chambre basse du Parlement, etc. Des honneurs à la tonne qui ne pèsent pas lourd à côté de ce qu'aura enduré, sous le règne des communistes, cet écrivain dont l'essentiel de l'oeuvre a été écrit avant l'arrivée de ces derniers au pouvoir en 1949, en particulier sa célèbre trilogie largement autobiographique Famille (1937), Printemps (1938) et Automne (1940) (1). Une histoire tragique qui sera soigneusement embellie par les hommages officiels, dans un pays qui n'a toujours pas renoncé à la réécriture de l'histoire et au contrôle idéologique. Pa Kin est né à Chengdu (Sichuan) le 25 novembre 1904, sous le nom de Li Feigan. Son nom de plume est en soi tout un programme : la contraction des noms de deux anarchistes russes, Bakounine et Kropotkine ! Car Pa Kin a été anarchiste, au point d'avoir eu un échange de lettres avec Bartolomeo Vanzetti dans sa prison à la veille de son exécution aux Etats-Unis. Pa Kin se trouvait alors en France pour des études qu'il n'achèvera jamais, et a été révolté par l'affaire Sacco et Vanzetti, qui le marquera profondément. Cette tentation anarchiste lui coûtera cher. Ce pseudonyme de jeunesse le suivant comme un acte d'accusation après la victoire des communistes de Mao sous influence stalinienne. En 1958, Yao Wenyuan, futur membre de la «bande des Quatre» de la révolution culturelle, publie un texte intitulé Sur l'idéologie anarchiste dans le roman Destruction de Pa Kin. Pendant la révolution culturelle, les gardes rouges défilaient sous ses fenêtres en criant : «A bas Pa Kin, l'anarchiste puant.» «Esclave». Pa Kin avait pourtant été un écrivain communiste discipliné après 1949. Il avait accepté de réécrire toute son oeuvre, pour en gommer les traces d'influence anarchiste. Le héros de Destruction (2), Du Daxin, change d'idéologie dans les éditions des années 50, pour devenir «socialiste révolutionnaire». Rien n'y fait. En 1983, Pa Kin doit encore écrire (3) : «J'ai déjà expliqué cent fois ce que signifiait ce pseudonyme pour moi à l'époque. Ce n'est pas la peine d'y revenir. D'ailleurs, ça ne servirait à rien. Ceux qui ne me croient pas ne me croiront pas plus.» La Révolution culturelle fut cruelle pour Pa Kin, même s'il ne connut pas le même sort que le grand écrivain Lao She, «suicidé» en 1966 après avoir été persécuté. «J'ai été esclave pendant dix ans», écrira plus tard l'écrivain qui en était arrivé à crier avec la foule : «A bas Pa Kin.» «Nous étions les jouets d'une immense supercherie. Cette découverte fut un terrible choc qui me fit très mal, je ne voulais pas y croire car je perdais toutes mes illusions.» Sa femme, Xiao Shan, succombe en 1972 à un cancer, impossible à soigner en raison du harcèlement dont Pa Kin est l'objet de la part des gardes rouges. Dans un texte émouvant écrit en 1979, une fois le cauchemar terminé, il confiera son sentiment de culpabilité : «Elle serait sans doute encore en vie si elle n'avait été la "complice infâme d'un intellectuel puant". En un mot, j'ai été la cause de ses malheurs et de sa mort.» Icône muette. L'écrivain réclamera par la suite la création d'un «musée de la révolution culturelle» ; en vain car cette période noire de l'histoire maoïste reste largement occultée. Affaibli par la maladie, Pa Kin est progressivement devenu une icône muette, un monument à la gloire de la littérature communiste qu'il a effectivement servie avant d'en être la victime. Reste son oeuvre d'avant 1949, témoignage sur la société chinoise féodale et les tourments d'une jeunesse tentée par l'idéal révolutionnaire. 1) Romans publiés en France par Flammarion. 2) Traduit par Angel Pino et Isabelle Rabut, Bleu de Chine, Paris, 1995. 3) «Mon nom», in Au gré de ma plume, Panda, Pékin, 1992.