Scandale Otage italienne : consternation après la "bavure" de Bagdad Le président américain George Bush a appelé le président du conseil italien, Silvio Berlusconi, afin d'exprimer ses "regrets" et de promettre une "enquête complète" après l'incident qui a coûté la vie, vendredi 4 mars à Bagdad, à l'agent secret italien Nicola Calipari. Ce dernier commandait le convoi qui exfiltrait d'Irak la journaliste d'Il Manifesto, Giuliana Sgrena, libérée quelques heures plus tôt par les kidnappeurs qui la détenaient depuis un mois. Elle-même a été blessée par les tirs des soldats américains qui gardent la route reliant Bagdad à l'aéroport. M. Berlusconi veut "des éclaircissements sur le comportement des militaires américains". Par ailleurs, un dignitaire salafiste irakien affirme au Monde que la guérilla islamiste sunnite ne détient pas la journaliste de Libération Florence Aubenas, enlevée le 5 janvier.Rome de notre correspondantIl était un peu plus de minuit, très tôt, samedi 5 mars, quand l'ambassadeur des Etats-Unis en Italie, Mel Sembler, a quitté le Palazzo Chigi, siège du gouvernement à Rome. Le diplomate avait été convoqué dans la soirée par Silvio Berlusconi. Au cours d'un entretien de plus d'une heure, M. Sembler a assuré au président du Conseil italien que "tous les efforts seront accomplis pour faire la lumière sur ce qui s'est passé en Irak". Le visage fermé, visiblement courroucé, M. Berlusconi avait déclaré peu auparavant devant la presse qu'il demanderait "des éclaircissements sur le comportement des militaires américains". Peu auparavant, en effet, au cours d'une fusillade à un point de contrôle, des soldats américains ont tué le chef des services secrets italiens en Irak, Nicola Calipari, blessé un de ses hommes ainsi que la journaliste Giuliana Sgrena, a peine libérée après un mois de captivité, alors que le convoi se dirigeait vers l'aéroport de Bagdad. "Quelqu'un devra assumer ses responsabilités", a insisté M. Berlusconi.Le communiqué officiel demandait plus diplomatiquement que "dans l'esprit d'amitié qui caractérise les relations entre l'Italie et les Etats-Unis, le gouvernement des Etats-Unis fasse tout pour faire l'entière lumière sur ce qui s'est passé et sur les éventuelles responsabilités". Au téléphone, George Bush a promis à Silvio Berlusconi "une enquête complète" tout en exprimant sa "profonde douleur". Les relations jusque-là très cordiales entre les Etats-Unis et l'un de leurs principaux alliés en Irak risquent-elles de connaître un refroidissement après cette bavure ? "Mon jugement sur les Etats-Unis n'a pas changé d'une virgule par rapport à ceux que j'ai exprimés mille fois", a réagi Gianfranco Fini, le chef de la diplomatie italienne, dans un entretien au Corriere della Sera. Le numéro deux du gouvernement ne pense pas que ce "macabre coup du destin" provoquera une réaction antiaméricaine dans le pays.L'éditorialiste du quotidien milanais souligne toutefois que "les deux Italie qui ont accompagné la détention de Giuliana Sgrena, sans se toucher ni dialoguer, risquent maintenant de s'affronter". Comme pour l'enlèvement des deux Simona, ces deux jeunes femmes travaillant pour des organisations humanitaires, en septembre 2004, le gouvernement et l'opposition s'étaient répartis les rôles."JE VAIS BIEN"Tandis que l'un négociait en toute discrétion, l'autre mobilisait la rue. Ainsi, aucune personnalité de la majorité n'a participé à la grande manifestation qui avait rassemblé plusieurs centaines de milliers de personnes à Rome, le 19 février, en soutien à la journaliste d'Il Manifesto, ainsi qu'à Florence Aubenas et à son guide, Hussein Hanoun."Il faut s'attendre à une pression croissante sur le gouvernement pour qu'il retire les troupes d'Irak", poursuit le Corriere della Sera. L'Italie, où une majorité de la population s'était prononcée contre la guerre, a dépêché 3 000 hommes dans le sud de l'Irak en juin 2003, immédiatement après la fin officielle du conflit. Depuis, la présence de cette "mission de paix" est un sujet de controverse entre la droite et la gauche. Cette dernière, longtemps divisée, a récemment refusé de voter le renouvellement du financement de la mission. Les réactions des dirigeants de centre gauche sont restées prudentes. Piero Fassino, secrétaire des Démocrates de gauche, a jugé "absurde une mort provoquée par qui affirme être en Irak pour protéger les citoyens".Le destin a bon dos pour Roberto Calderoli, le ministre des réformes, qui suspecte même un complot. Pour ce dirigeant de la Ligue du Nord, "il y a eu plus d'une boulette empoisonnée dans cette affaire, la dernière étant ce qui s'est passé au check-point américain". "Il fallait absolument arrêter cette voiture",a-t-il déclaré vendredi soir, estimant que "ce n'est pas un coup du hasard qui a tué le fonctionnaire des services secrets italiens".Cette thèse n'a pas été reprise par M. Berlusconi au cours de la longue reconstruction des événements qu'il a faite devant la presse d'une voix teintée d'émotion : "Nous sommes restés pétrifiés quand nous avons reçu le second coup de téléphone", a-t-il raconté. "Sur la joie de la libération de Mme Sgrena s'est abattue la douleur de la mort de Nicola Calipari", a résumé le président du Conseil. Ce fonctionnaire de 51 ans, marié et père de deux enfants, partage avec Giuliana Sgrena la Une de la plupart des journaux, samedi. "Il est mort pour sauver Giuliana", titre la presse, évoquant "le sacrifice"d'un "agent héroïque".D'après M. Berlusconi, Nicola Calipari aurait fait rempart de son corps pour protéger la journaliste lors de la fusillade. "C'est le héros le plus vrai, le plus humain de cette tragédie", selon Giuseppe Pisanu, le ministre de l'intérieur.Un avion sanitaire devait rapatrier ce samedi Giuliana Sgrena, opérée d'un éclat dans un poumon. "Je suis pleine de fils et de tubes, mais je vais bien", a-t-elle rassuré après l'intervention. Un message bien différent de cette cassette vidéo de 4 minutes, dans laquelle, le 16 février, la journaliste, défaite et en larmes, implorait l'aide du peuple italien, lui demandant de faire pression pour obtenir le retrait des troupes italiennes d'Irak.
