Mort d'Olivier Merlin
Mort Olivier Merlin, ancien journaliste, collaborateur du Monde de 1945 à 1984, est mort, jeudi 14 avril, à Paris.Il aimait tant la vie, notre cher O. M. ! La vie le lui rendait si bien qu'elle ne se résignait pas à le quitter. Il aurait eu 98 ans en mai, comment le croire ? Il avait conservé sa voix de jeune homme, voilée, comme éraillée d'avoir trop crié d'enthousiasme, la veille, sur quelque stade ; mais rieuse, aussi, fraternelle. Un maintien d'éternel sportif, un sautillement de boxeur qui va enjamber les cordes du ring.Pour dire notre peine, et résumer ce destin de fougue, il aurait fallu le don de voir et de faire voir que notre aîné avait déployé, en septembre 1977, pour associer les lecteurs à sa dernière visite chez la Callas morte. On y était. L'écran de ses larmes brouillait notre vue. A lui seul, il compensait ce que Le Monde des années 1950 pouvait avoir de compassé.Les linoléums marronnasses de la rue des Italiens résonnaient de ses sprints entre son bureau, où Beuve-Méry l'avait autorisé à bivouaquer au retour des spectacles, et l'imprimerie, où il mettait en page les éditions avec une virtuosité de danseur.Le paradoxe voulait que, recruté comme ancien du Temps, en 1945, il insuffle au quotidien plus de jeunesse et de curiosité que les recrues d'après-guerre. Né le 18 mai 1907 à Neuilly, licencié en droit, diplômé d'économie, Olivier Merlin avait tâté du barreau (1926-1930) et de la presse, au Temps, où écrivait son père. Un gène familial, le journalisme : plusieurs frères d'Olivier, incroyablement ressemblants avec leur allure très Racing d'avant-guerre, s'illustraient dans la presse.Cinq ans de captivité entre 32 ans et 37 ans : de quoi ronger son frein le reste de sa vie ; et c'est le retour au bercail. Aussi piaffant que Le Monde d'alors se voulait pondéré ! Outre l'exercice du "marbre" il est le patron du secrétariat de rédaction , tout ce qui bouge et vit d'exploits lui revient, comme de droit : tous les sports, des rings aux circuits en passant par les courts de tennis, la danse, l'opéra, la corrida. On le reconnaît aussitôt à son culte de l'effort, du dépassement de soi, des corps trempés de sueur, des risques calculés avec panache, chevalerie. A son style, aussi, elliptique, suggestif, cousin du Paul Morand des six-jours cyclistes au Vel'd'Hiv'.L'édition "tombée", il fallait voir l'éternel jeune homme enfourcher son "gros-cube" Triumph et rapporter de ses équipées ses points de vue d'"Au-delà du guidon". Comme pris en croupe, le lecteur se penchait dans les virages. Tout ce tohu-bohu de bravos, ces affolements de soupapes, dans un journal réputé pour son attention distante aux choses de la vie, encore sous le coup de la consigne de l'ancêtre Hébrard d'avoir à "faire emmerdant" !Le bouillant serviteur de l'immédiat savait que la prose des journaux est moins promise à la postérité qu'aux postérieurs. On se souvient de ses livres sur le coureur automobile Fangio, la corrida, le flamenco, l'opéra, le boxeur Carpentier, Tristan Bernard...L'hebdomadaire Match fit de Merlin un grand reporter et son rédacteur en chef, de 1954 à 1974. Mais ce n'est pas céder au chauvinisme (dont Olivier Merlin n'était pas exempt lui-même) que de rappeler un attachement viscéral au Monde, qui restait sa famille, et qui le pleure comme un frère aîné, un modèle de pétulance exquise.Profondément attristés par la disparition d'Olivier Merlin, nous présentons à sa famille et à ses amis toutes nos condoléances. Jean-Marie Colombani