Prix Nobel Litterature : Harold Pinter, retour en scène politiqueLe prix Nobel de littérature 2005 a été décerné au dramaturge britannique Harlod Pinter, 75 ans, a annoncé jeudi 13 octobre l'Académie suédois. "Il n'a pas dit un seul mot, en fait il était très heureux", lorsqu'on lui a dit qu'il avait gagné le prix, confie le secrétaire permanent de l'Académie, Horace Engdahl. Le prix récompense un auteur "qui dans ses drames découvre l'abîme sous les bavardages et se force un passage dans la pièce close de l'oppression", a justifié l'Académie dans sa motivation.Né en 1930 à Londres il "est généralement considéré comme le représentant le plus éminent du théâtre dramatique anglais de la seconde moitié du XXe siècle", a indiqué l'Académie. "Sa position en tant que classique moderne est illustrée par la création à partir de son nom d'un adjectif qui décrit une forme d'atmosphère et de milieu particulière dans les pièces de théâtre : "pinteresque". Le portrait qui suit a été publié dans le journal Le Monde le 16 avril 2003.Il y va de la politesse d'un monument national, de la prudence d'un résistant de toujours, d'un soin certain dans la mise : Harold Pinter détesterait ne pas arriver en avance à un rendez-vous. Le chardonnay n'est pas entre ses doigts que le barman du Meurice a porté un second verre. Le dramaturge-metteur en scène-comédien-scénariste et militant anti-impérialiste accompagne à Paris son épouse, Antonia Fraser, lady et historienne en recherches sur Louis XIV, au moment où Gallimard publie sa première pièce (La Chambre), sa dernière (Célébration), et Le Scénario Proust, écrit pour Joseph Losey il y a trente-et-un ans, d'après A la recherche du temps perdu, et jamais tourné.Harold Pinter se "remet" à peine. Sa vie, depuis ce fâcheux cancer, est "plutôt tranquille". Le front théâtral est calme. Bien sûr, on donne ses pièces dans une trentaine de pays, et Les Nains – son unique roman –, vient d'être adapté pour la scène du Tricycle. Cela laisse du temps pour le front politique. Le citoyen Pinter était à la tribune de Hyde Park, le 15 février, devant un million et demi de va-t-en-paix, pour la plus grande manifestation de tous les temps à Londres. Il le répétera : "J'admire la position française – et allemande. Pour la première fois depuis longtemps, quelqu'un tient tête aux Etats-Unis."Il n'a pas cherché à rendre public son cancer. Le Times l'a appelé. Il a répondu oui. Comme le Théâtre national donnait deux soirées de ses sketches, il est monté sur scène, encore chauve de chimio, pour donner sa Conférence de presse. Riant d'avance, il vibre du désir d'en dire les premiers mots : "Un homme est devant un parterre de journalistes." Question : "Sir, est-il exact que vous ayez été à la tête des services secrets, avant de devenir ministre de la culture ?" Réponse : "C'est parfaitement exact." En fin de compte, le chef des services secrets et le ministre de la culture n'ont-ils pas les mêmes principes, ne sont-ils pas intéressés par les mêmes choses..."Commentaire : "C'est drôle, il parle comme Tony Blair." Le dramaturge ne décolère pas depuis que le premier ministre s'est exhibé en train de prier pour la paix "alors qu'il s'apprêtait à participer au meurtre de milliers d'innocents en Irak". Il a immédiatement répliqué à ce "méprisable serf du criminel régime américain" en faisant donner ses propres canons : un appel à la résistance devant la Chambre des communes, et un entretien au Financial Times (15 février 2003) : "Je craindrais fort, si je me trouvais face à Tony Blair, de lui cracher dans l'œil."Sa renaissance est passée par la poésie. Son premier poème, Cellules cancéreuses , a été publié l'été dernier dans le Guardian, en gros caractères, appuyés par une photo bouleversante, où Harold Pinter, tout de noir vêtu, comme toujours, repartait à l'attaque du Festival d'Edimbourg. Depuis, il a écrit six poèmes, en six mois. Il y a deux mois, en avance à un rendez-vous, son stylo s'est mis à écrire ça : "Pas d'issue possible/Les grosses bites sont sorties/Prêtes à enfiler tout ce qui bouge/Gaffe à ton cul." Il a observé le texte (il tend son carnet devant ses yeux), et le titre (claquement des doigts) est venu à lui en un éclair : "Démocratie"."CES POÈMES EXPRIMENT MON DÉGOÛT"Cette démocratie "en guerre contre nous", telle que la conçoit le Pentagone, Harold Pinter n'a pas attendu la campagne d'Irak pour en dénoncer l'arrogance meurtrière. En janvier, il a écrit un autre poème, plus classique : Dieu bénisse l'Amérique. Mais Démocratie l'enchante. D'autant qu'il est paru en Angleterre dans The Spectator, un magazine de droite. Aux Etats-Unis, Bob Silvers, le patron de la New York Review of Books, s'est défilé : "Désolé Harold, je ne peux pas le publier." Sales temps, sale guerre : "Même les intellectuels libéraux américains ont peur. A cause du titre, de la violence du langage."Mais il ne faudrait pas confondre ces brûlots avec son théâtre : "Ces poèmes expriment ma colère personnelle, et mon dégoût. Dans mes pièces, je ne suis pas dégoûté par les personnages, même si je suis critique envers eux. Je dois avoir une certaine sympathie pour eux, sinon je ne pourrais pas les faire parler. Je les aime, ils me font rire, bien que la plupart soient atroces. En écrivant sur eux, j'écris sur moi aussi. Je ne prétendrais pas être hors de tout cela."Pour autant, il n'est pas revenu au théâtre plus politique des années 1980 : "Dans Un pour la route ou dans Langue de montagne, la brutalité, et pas seulement celle du langage, est évidente. Impossible de rire. Alors que je riais quand j'écrivais Célébration." Les deux frères de Célébration ne seraient-ils pas du côté de Bush ? "La seule référence à leur activité, c'est "conseiller stratégique". Peut-être les armes. Ils feraient bonne figure dans le gouvernement britannique ou dans l'administration américaine. Ce sont de véritables voyous. Des individus qui utilisent le vocabulaire chrétien, les valeurs démocratiques, et sont prêts à détruire un pays au nom de la liberté. Le plus consternant est d'entendre ces gens se réclamer de la morale alors qu'ils sont immoraux."En 2000, il a mis en scène à l'Almeida Célébration et La Chambre. Eloignées de quarante-trois ans, les deux pièces opposent les déracinés de l'après-seconde guerre mondiale et les nantis de la City ; les sombres interrogations métaphysiques de personnages au bord de l'allégorie et les inanités hautes en couleur des ploutocrates de la mondialisation. Le diptyque a été donné en Europe, mais pas en France. Alors il attend beaucoup de la publication des textes, comme des réactions des critiques au Scénario Proust.Le cinéma, depuis la période Losey, ne lui a pas toujours offert le meilleur. Il vient d'entreprendre un scénario d'après Le Limier, la pièce d'Anthony Schaffer. Il n'a pas vu le film de Mankiewicz et ne le verra pas, mais s'amuse à l'idée que Jude Law devrait reprendre le rôle de Michael Caine, et ce dernier celui de Laurence Olivier. Il aime à démêler l'intrication des pouvoirs entre deux hommes tour à tour dominant et dominé : "Ce n'est pas exactement Le Serviteur [The Servant, son plus célèbre scénario pour Losey], mais ça pourrait s'en approcher par bien des côtés."
