Prix Nobel de Littérature : Orhan Pamuk /«Beaucoup estiment qu'être à la fois en Occident et en Orient représente une maladie. A mes yeux cela représente une chance», dit l'écrivain turc honoré du prestigieux prix • Les contradictions de son pays, tiraillé entre Orient et Occident sont au cœur de son œuvre • Il y a à peine un an, Orhan Pamuk, 54 ans, qui a reç.u ce matin le Pri Nobel de littérature, était dans le box des accusés à Istanbul, poursuivi pou avoir déclaré dans une interview à un journal suisse qu'il y avait eu sur le so turc «les massacres de 30 000 Kurdes et d'un million d'Arméniens sans que personne en parle». Des associations avaient porté plainte. La justice avait ouvert les poursuites au titre de l'article 301 du nouveau code pénal – pourtant approuvé au début par Bruxelles – qui sanctionne «les insultes à la nation turque». Finalement, Orhan Pamuk fut relaxé mais les accusations de trahison et les menaces de mort ont continué. Brillant romancier reconnu par de nombreux prix littéraire dans le monde, dont le Médicis étranger qui a récomposé Neige l'an dernier, Orhan Pamuk est un écrivain qui dérange dans son pays par la ferveur de ses engagements civiques. Sur le même sujet ARCHIVES • Orhan Pamuk, trois jours sous la neige ARCHIVES • «La Turquie ne doit pas avoir peur de sa propre diversité» Il croit dans l'avenir européen de son pays tout en reconnaissant la complexité de son identité. «Le véritable trouble réside plutôt dans le fait que beaucoup d'intellectuels et de décideurs estiment qu'être à la fois en Occident et en Orient représente une maladie. Nous sommes en effet géographiquement à la frontière entre deux mondes et notre histoire comme notre culture en découlent. A mes yeux cela représente une chance. Nous avons des partis qui veulent une Turquie totalement occidentale, ou totalement turque, ou totalement islamique. Ces projets radicaux sont réducteurs. Notre richesse est au contraire d'être tout cela à la fois», expliquait il en 2002 à Libération. Les efforts séculaires de la Turquie pour s'intégrer à l'Europe et les déchirements souvent douloureux, pour la société ou les individus, que ce mouvement à marche forcée vers l'ouest a induits, figurent au cœur des livres d'Orhan Pamuk. «Je soutiens la candidature de la Turquie à l'adhésion à l'UE mais je ne peux pas dire aux adversaires de la Turquie : “Ce n'est pas vos affaires s'ils me jugent ou pas”. Du coup, je me sens coincé au milieu. C'est un fardeau», expliquait récemment le romancier, qui se considère d'abord comme écrivain. Cheveux grisonnants, souvent habillé d'un simple T-shirt et d'une veste, il n'intervient que rarement sur la scène publique, préférant le désordre enfumé de son bureau stambouliote aux projecteurs des plateaux de télévision. Il fut le premier écrivain dans le monde musulman à condamner ouvertement la fatwa de 1989 contre Salman Rushdie et il prit position pour son collègue turc Yasar Kemal quand celui-ci fut appelé en justice en 1995. Né le 7 juin 1952 dans une famille francophile aisée d'Istanbul, l'écrivain a abandonné à l'âge de 23 ans des études en architecture pour s'enfermer dans son appartement et se consacrer à la littérature. Sept ans plus tard était publié son premier roman, Cevdet Bey et ses fils. L'irritation de ses détracteurs est montée d'un cran après son refus, en 1998, d'accepter le titre d'«artiste d'Etat». Il était alors déjà devenu l'écrivain numéro un en Turquie avec des ventes records, et son sixième roman, Mon Nom est Rouge (subtile réflexion sur la confrontation entre Orient et Occident dans l'Empire ottoman à la fin du XVIe siècle) allait sous peu lui ouvrir les portes de la célébrité internationale. Dans Neige, peut-être son roman le plus fort, il raconte au travers du voyage d'un intellectuel dans une ville de l'est du pays tout le poids du fanatisme religieux, de l'ambiguité du camp laic ainsi que celui, écrasant, de l'armée et de l'appareil d'Etat.