Succès Nicky Siano, mystique pionnier du mix Le DJ a incarné la culture "dance", à New York, dans les années 1970, puis s'est fait expert des traitements contre le sida. Revenu aux platines, il publie une compilation qui reprend les succès de son club, le Studio 54.Le DJ new-yorkais Nicky Siano est souvent présenté comme l'incarnation de la culture dance - le terme anglo-saxon désigne aussi bien le funk que le disco ou la techno aujourd'hui. Il en est en tout cas l'une des grandes figures. Il a vécu l'épopée disco de bout en bout : l'avant, excitant, dès les années 1970, les débuts, enthousiastes ; l'apogée, délirante, au Studio 54, la discothèque de ces années folles, au cœur de Manhattan ; puis la chute, comme une longue descente, parallèle à la sienne au début des années 1980. The Love Epidemic, son morceau fétiche, que chantaient les Tramps en 1974, commençait à prendre une autre tournure, dramatique cette fois, celle d'une épidémie qui frapperait bientôt insidieusement la communauté homosexuelle avant de s'en prendre au reste du monde.Le label Soul Jazz, spécialisé dans les rééditions, vient de publier une compilation qui reflète la programmation de la discothèque que Nicky Siano possédait entre 1972 et 1977, The Gallery. On y trouve du R'n'B, du blues, du funk et les prémices du disco que l'on connaît. Un film retraçant l'histoire du club est prévu pour 2005.A 49 ans et après vingt ans d'absence, Nicky Siano a repris le chemin des platines et redécouvre la joie de jouer des disques pour un public. Il a passé toutes ces années à étudier des traitements alternatifs du sida, avant la découverte des trithérapies, publiant en 1993 No Time to Wait, un livre bible pour les malades du sida à l'époque. Il y répertoriait les effets de chaque médicament. " C'était une période à la fois dramatique -son ami est mort des suites de la maladie-, mais très gratifiante aussi. Quelqu'un m'a dit avoir maintenu ses anticorps à un niveau suffisant pendant des années grâce aux conseils de mon livre, jusqu'à l'arrivée des nouveaux traitements."Invité à Paris lors du festival Villette numérique, au mois de septembre, Nicky Siano faisait figure de père de tous les DJ invités comme lui. Eux ne le connaissent pas toujours, lui ne les connaît pas du tout, en dehors de DJ Spinna (un DJ producteur de rap). Le DJ, physique d'Américain plutôt banal désormais - il posait dans sa jeunesse nu comme un ver, un micro en guise de cache-sexe -, retrouve soudain ses intonations de diva : " Oh my god, c'est affreux !" Il vient de réaliser qu'il en est resté aux pères fondateurs du genre, les historiques François Kevorkian, Dany Tenaglia, Frankie Knuckles, David Mancuso, aux carrières et aux réputations bien plus prestigieuses.Ce sont encore ses amis proches. Comme avait pu l'être son protégé Larry Levan, DJ du Paradise Garage, berceau de la house musicnew-yorkaise dans les années 1980, mort du sida en 1992. C'est d'ailleurs à l'occasion d'une soirée d'hommage à Larry Levan, organisée par le Franco-New-Yorkais François Kevorkian, que Nicky s'est remis derrière les platines, en 1998. " Le soir même j'avais des dizaines d'offres d'engagement !"S'il a renoncé pendant plus de vingt ans à l'exaltation du métier, il s'y replonge avec délice. Nicky Siano vit la musique comme une religion. Il en parle avec cette dose de mysticisme qui fait souvent sourire en Europe. Il croit au pouvoir des énergies positives, au courant de la vie, au message de la musique. Ses premières virées et ses premiers cachets dans les clubs datent de 1970. L'année précédente, la clientèle homosexuelle du Stone Wall, bar new-yorkais, s'était révoltée contre une énième descente de police.A cette date, Nicky a 15 ans et sa meilleure amie Robin l'accompagne partout. Elle est son premier public, dans sa chambre, et écoute des heures durant les derniers disques dénichés par Nicky ("Je la rendais folle", se souvient-il en riant). Elle fait également office de couverture pour cacher aux parents de Nicky l' homosexualité de leur fils.LE SUCCÈS ET LA CHUTEIl découvre le Loft, les soirées privées que David Mancuso organisait dans son propre appartement : "Une révélation." Nicky Siano n'a plus qu'un but, monter son club, devenir un pilier de cette communauté dance qui l'accueille et lui ressemble. "Elle m'a aidé à me sentir plus normal. Je me serais senti très étrange sinon. Il y avait tellement de gays que j'ai compris que c'était juste une façon différente de faire les choses, que ça faisait partie de la vie. Ça m'a aidé à m'accepter."A 17 ans, il dirige son propre club, The Gallery. L'endroit est petit, mais il y met tout son cœur. Son frère, ingénieur, l'aide à financer les travaux. Il invente : il est le premier à brancher une boîte à rythme, cette nouvelle invention, sur la table de mixage. Il s'équipe d'une troisième platine pour enrichir son mix d'effets (avions qui décollent, bruits de foule). " J'ai appris à me servir de la technologie pour faire évoluer, avancer la performance. Aujourd'hui, certains se vantent de ne jouer qu'avec des vinyles, mais, moi, je me sers de tout. J'ai toujours voulu aller de l'avant."Larry Levan et Frankie Knuckes, précurseurs de la house music, apprennent à ses côtés. A 18 ans, il est considéré comme le meilleur DJ de New York. "J'avais réalisé mon rêve, je ne savais plus quoi faire."En 1977, il devient le premier DJ résident du Studio 54. "Les premiers mois c'était le vertige, étourdissant, fabuleux. Tout ce dont j'avais rêvé pour The Gallery, le Studio l'avait fait. Le décor, les lumières, la cabine, les paillettes qui tombaient du plafond..."Une sorte d'apogée avant la chute. "Le Studio 54, c'était le paradis des drogues et du sexe. La deuxième année, ils -Steve Rubel et Ian Schrager, les propriétaires- ont tout peint en noir et installé cette cuillère à cocaïne géante. Le problème, ce n'était la drogue, mais la drogue TOUS les soirs !"Le Studio 54 ferme au bout de trois ans, en 1980. Nicky Siano avait sombré au bout de six mois. Toxicomane, licencié, il quitte le monde de la musique en 1983. Il le retrouve différemment. Sans drogue. "Aujourd'hui, je m'arrête à 4 heures du matin", dit-il, lucide.Qu'espère-t-il retrouver après tant d'années ? Un peu de la légèreté qui lui manquait quand il traquait les faiblesses du virus. Nicky déborde d'idées sur la question du clubbing. Et de se lancer dans une tirade sur le drame des systèmes de sonorisation actuels, qui brident le spectre musical de la dance music, ou sur la beauté des écrans plasma.Il aimerait aussi faire renaître l'esprit qui animait la scène dance à ses débuts, quand elle était capable de s'affirmer et de résister face à la morale bien-pensante de l'Amérique. "Si elle avait été une communauté ces dernières années, Rudolph Giuliani -maire de New York réputé pour avoir nettoyé la ville à la fin des années 1990- n'aurait pas réussi à faire fermer tous les clubs. Aujourd'hui, à New York, c'est fini."Odile de PlasNicky Siano's Legendary, The Gallery, the Original New York Disco 1973-1977. 1 CD Soul Jazz/Discograph."L'important n'est pas forcément de mélanger les rythmes, mais les sons"Nicky Siano explique les règles de l'art du DJ. "Il ne faut pas couper une chanson n'importe comment. On doit attendre la fin de la phrase avant de mixer. Le choix des disques est plus important que le mix -leur mélange, leur enchaînement-.Si les gens apprécient la musique, ils continueront à danser, quel que soit le mix. Si tu sens que ce morceau-là s'enchaîne bien, mets-le, même si le tempo est ralenti.Ensuite - Larry -Levan, DJ historique de New York-le savait -, l'important n'est pas forcément de mélanger les rythmes, mais les sons. Si deux morceaux ont une basse similaire, je vais les assembler, même si le beat n'est pas identique. Je peux mixer deux riffs de guitares qui vont bien ensemble et ça me fait un troisième morceau.Et puis il y a l'environnement. Le régisseur lumière doit connaître le DJ, deviner ce qu'il va faire. Larry avait une petite boîte dans sa cabine. Et si le régisseur l'agaçait, il lui coupait l'électricité et s'en occupait lui-même !Enfin, l'essentiel reste le sound system -le matériel technique-. Larry construisait le sien. Il voulait un son de basse particulier, il était obligé de concevoir lui-même ses enceintes. Je fais la même chose.A la Gallery, la piste de danse était carrée, mais on avait l'impression d'être dans une bulle, comme le disait souvent Frankie Knuckles -autre DJ historique-. Et ça, c'était grâce à la disposition des enceintes."
