Ouverture New York Le Musée d'art moderne et contemporain rouvre ses portes samedi prochain après une métamorphose Le MoMA, musée du futur Le bâtiment, dessiné par l'architecte japonais Yoshio Taniguchi, est le plus grand jamais réalisé dans l'histoire du MoMA. Il s'ouvre sur un jardin restauré et agrandi. Son architecture intérieure privilégie la lumière naturelle comme dans l'atrium, ci-dessous.  Le nouveau MoMA est arrivé. Et, avec ce géant de New York qui prétend tout simplement «avoir la plus importante collection d'art moderne et contemporain au niveau mondial», l'heure est venue de voir comment l'Amérique de l'après-11 septembre relève ce pari. Fidèle à son dynamisme de légende, comme Hollywood sûre de son effet Matrix, la voilà à pied d'oeuvre pour réinventer le musée, pour bousculer les idées reçues sur la chronologie établie des collections et rajeunir radicalement l'histoire de l'art. Le nouveau MoMA commence le XXIe siècle avec l'art le plus contemporain, celui-là même que portent aux nues les enchères enfiévrées de New York. Il expose fièrement ses nouvelles acquisitions – les dernières pièces datent de 2003 avec le Sud-Africain William Kentridge ou l'Américaine d'origine éthiopienne Julie Mehretu – et remonte paisiblement le cours de ses chefs-d'oeuvre pour culminer au 5e étage avec Les Demoiselles d'Avignon, peintes par Picasso en 1907, achetées dès 1939 par un tout jeune MoMA, à peine âgé de dix ans. Une révolution pour l'oeil et pour l'esprit. Dès l'Atrium, à l'entresol, le volume est donné qui s'ouvre comme le coeur d'une pyramide sur l'ensemble du building. Il permet d'entrevoir, par la haute meurtrière, le zig-zag des escaliers et le bleu intense de La Danse de Matisse. Il sert de point d'ancrage au parcours vers les vastes salles dédiées d'abord à l'art contemporain puis, à l'étage supérieur, à l'art moderne. Très peu d'oeuvres dans cet Atrium, mais quelles oeuvres ! Elles donnent le «la» du nouveau projet muséal : sur un long mur nu, fleurissent les Nymphéas de Monet, si modernes et vigoureuses, dont on redécouvre le mouvement ; en face, un grand De Kooning, débordant de vitalité ; au milieu, une ode à l'Amérique par Jasper Johns en 1992-1995 et par Brice Marden avec Vine, superbe huile de 1992-1993 ; au centre, une sculpture, simple comme un zip, de Barnett Newman en 1963-1967, posée là en obélisque du siècle. La première salle, haute comme une cathédrale, est la plus attendue, car la plus inattendue. Ceux qui venaient au MoMA admirer La Nuit étoilée de Van Gogh, le Boy Leading a Horse, le fabuleux Picasso qui éclipse Le Garçon à la pipe à plus de 100 M$ en mai chez Sotheby's, ou bien The Sleeping Gipsy du Douanier Rousseau, vont découvrir les mondes étranges de l'Américain Matthew Barney (vidéaste, photographe et sculpteur né en 1967) à travers son Cabinet of Baby Fay la Foe, oeuvre de 2000 achetée la même année. Toutes les stars du marché de l'art sont là : du jeune William Kentridge (Learning the Flute, 2003, dessins presque muraux sur 220 pages d'encyclopédie, avec le label «nouvelle acquisition») à David Hammons, Américain né en 1943, très présent dans les collections «hype» new-yorkaises comme celle des marchands Greenberg (High Falutin, 1990, mélange hybride d'un panier de basket et de lustres clignotants) ; de Rachel Whiteread (Untitled/Room Plaster, 1993) qui trônait en reine, en juin, à la galerie de Larry Gagosian à Londres, au couple de pendules du Cubain Felix Gonzalez-Torres (Lovers, 1991), roi posthume du marché contemporain ; de la photographie éminemment plasticienne d'Andreas Gursky, Allemand né en 1955 (Rhin II, 1990, «nouvelle acquisition») au peintre anglais Peter Doig à la technique classique (Lapeyrouse Wall, 2004), au peintre belge Luc Tuymans, célébré par la Tate Modern cet été, et au «sensationnel» Chris Offili qui fit scandale en son temps avec ses tableaux composites, avec fientes d'éléphant (Prince Amongst Thieves, 1999). Une deuxième salle rend hommage à leurs Anciens, le formidable Bruce Nauman, l'Américain à la créativité multiple (Human, Need, Desire, 1983), à l'Allemand Sigmar Polke né en pleine guerre (Wacht Tower à la composition très sûre, 1984), au test de Rorschach traité avec la démesure d'Andy Warhol, pape du Pop Art, en 1981 (achat de 1999), à la foule grise et politique, saisie par le pinceau de Gerhard Richter, et aux grandes calligraphies de l'Américain Cy Twombly qui évoquent l'ardoise d'avant l'écriture (1970). Sur le sol, gît le demi-corps d'un homme à plat ventre, avec ses trois bougies qui veulent dire Robert Gober, artiste américain né en 1954 qui a bouleversé les salles d'enchères pendant des saisons entières. En travers de l'espace silencieux, une tranche de maison, oeuvre de Gordon Matta-Clark, fils de Roberto le dernier surréaliste qui fit pareille oeuvre à Anvers. Où sont les Français ? Le public sera exceptionnellement dispensé de payer, le samedi 20 novembre pour la réouverture officielle, les 20 $ de ticket d'entrée, une hausse brutale qui fait hurler la presse new-yorkaise. Avide de découvrir le nouveau visage de ce bastion de l'art américain, sobre d'architecture comme un bâtiment d'entreprise, balayé des lumières de la ville par un jeu de fenêtres asymétriques et d'immenses verrières. Le public va pouvoir enfin jauger le mot d'ordre de ce projet fara mi neux : la «lisibilité» d'un musée qui entend regarder l'avenir, qui laisse les bréviaires aux bibliothèques, la méditation des 14 stations du chemin de Croix aux églises et les vieilles habitudes à l'Europe. Elle entend expliquer le siècle au regard sans excès de discours, partant d'aujourd'hui pour aller vers hier, usant de l'architecture comme d'un procédé théâtral, juxtaposant les espaces au fil de ses collections, décidément époustouflantes. Espaces tout petits comme des salons d'amateurs pour les dessins des maîtres de l'art moderne (du Portrait de Jacob Meyer de Haan de Gauguin en 1889 au sublime Brooking Woman, un Picasso de la période bleue, de l'Autoportrait de Théo Van Rysselberghe aux fusains symbolistes d'Odilon Redon), pour les gravures (The Sick Child, 1896, poignante lithographie d'Edvard Munch, est une nouvelle acquisition de 2002), pour les projets des grands architectes (des projets berlinois de l'Américain né Allemand, Mies van der Rohe, à la maquette de la Villa Savoye de Le Corbusier) ou pour la photographie des pictorialistes. Vastes espaces harmonieux comme les collections privées à l'américaine – planchers clairs, murs blancs et larges qui reçoivent souvent un seul tableau à la fois – pour accueillir les ténors des collections permanentes : les Picasso cubistes redéployés dans The John Hay & Betsey Whitney Gallery, La Leçon de piano de Matisse, si admirée lors du duel Matisse-Picasso au Grand Palais, et ses pairs prestigieux dans The Florene Schaenborne Gallery. Voire espaces carrément immenses pour le 6e et dernier étage, vertigineux dancing room pour les installations contemporaines hors d'échelle : l'énorme Rosenquist de 1964-1965, pétaradant de formes et de couleurs acidulées (F- 111, huile sur toile et aluminium sur 23 panneaux, don de 1996) ou la sculpture monumentale d'Ellsworth Kelly de 1957 qui court comme une conjugaison d'éoliennes sur tout un mur (don de Jo Carole et Ronald Lauder en 1998). Ce mardi 9 novembre, l'accrochage est fini, les ouvriers jouent des courbes à niveau pour installer, au millimètre près, les derniers cartels qui attendent sur les banquettes noires de Poul Kjerholm. Sur le sol, des dizaines de vases d'amaryllis blanches annoncent le dîner très couru des «trustees», ces mécènes qui font gagner l'Amérique. Ils ont leurs noms en lettres majuscules en haut des cimaises. Rien qui ne fasse d'ombre à la salle majestueuse des Pollock, à Rothko et ses méditations en trois couleurs, à Barnett Newman, rouge vision comme un splendide désert, ou à Warhol, synonyme d'or comme sa Gold Marilyn, portrait lové comme un timbre dans sa grande auréole de 1962.