Mort de Jurek

Mort Mort de Jurek, metteur en scène polonais Il réinventait Kafka, Joyce... mais aussi les grands classiques polonais et l'opérette. e metteur en scène polonais Jerzy Grzegorzewski ­ que tout le monde appelait Jurek ­ est mort le 9 avril à 66 ans. Plus jeune que Tadeusz Kantor et plus âgé que Krystian Lupa, cet homme au prestige considérable dans son pays, chéri par les acteurs polonais, n'a pas bénéficié en France de la reconnaissance. Trop polonais sans doute, trop discret. Ses spectacles, ceux du Teatr Studio de Varsovie dans les années 80, ne ressemblaient à rien. Comme Kantor et Lupa, Jurek avait d'abord étudié les beaux-arts à Lodz avant d'entrer à l'Académie théâtrale de Varsovie. Comme eux, il fit ses débuts en abordant Witkiewicz (les Cordonniers). Il se singularise en inventant des spectacles qui s'appuient sur des oeuvres littéraires dont il investit l'univers dans lequel il vagabonde. Ainsi Kafka (l'Amérique), Joyce (Bloomusalem) ou Lowry (le Lent Ternissement des tableaux). Ses scénographies se reconnaissaient au premier coup d'oeil : bric-à-brac de pianos désossés, cadres retournés, des lignes de fuite se perdant au loin, espaces propices aux déchirures, aux adieux, aux fins de fête, aux ivresses. Parallèlement, l'«autre» Jurek, non moins attachant, montait les grandes pièces du répertoire polonais, le Mariage de Gombrowicz, Noce de Wyspianski. Il aimait vieillir avec ces chefs-d'oeuvre, qu'il relisait et remontait, tout comme il relira Joyce en 1999 (le Nouveau Bloomusalem). Devenu directeur du Théâtre national à Varsovie (l'équivalent de la Comédie-Française), il voulut en faire la «maison de Wyspianski». Il aimait aussi l'opérette (montant magistralement la pièce éponyme de Gombrowicz), revisitée par Kafka et Beckett. En février 2004, démissionnant après sept années à la tête du Théâtre national, un hommage lui est consacré, réunissant neuf de ses spectacles, notamment la Mer et le miroir, de Wystan Auden, poème qui est comme un additif à la Tempête de Shakespeare. C'est un spectacle bouleversant, où Prospéro, usé, accepte sa vieillesse et consent au départ. Le rôle était tenu par Jerzy Trela, grand acteur polonais familier des spectacles de Jurek. Tout comme l'était Jerzy Radziwilowicz. Ce spectacle, rétrospectivement, semble testamentaire, et on ne croisera plus la silhouette nouée de ce poète de la scène qui habitait les courants d'air des théâtres comme seuls savent le faire les fantômes.