Annonce Mister Lee, un espion nord-coréen, s'est rendu aux services secrets de Séoul. Formé à Pyongyang, «Mister Lee», 28 ans, était (presque) parfait dans son rôle de taupe. Habile espion à la solde du régime communiste, il avait réussi à se faire passer pour un talbukja, terme désignant les 5 900 transfuges nord-coréens ayant fui en Corée du Sud depuis la fin de la guerre de Corée (1950-1953). Après quinze mois de bons et loyaux services en territoire capitaliste ennemi, il a décidé de se mettre à table. Depuis plusieurs mois, il est interrogé par l'Agence nationale du renseignement sud-coréen. Le 1er décembre, plusieurs officiels (anonymes) de cette agence ont ébruité l'affaire. Elle a été aussitôt révélée par le quotidien Joon-Ang Ilbo. Originaire de Deokseong, au sud de la province de Hamgyong, Lee a gagné les rangs de l'armée du peuple de Corée du Nord au milieu des années 90. C'était pour lui l'assurance d'un (maigre) subside mensuel et de portions de nourriture garanties par son grade de sergent. Enrôlé dans sa province natale au sein d'une unité patrouillant le long de la frontière du nord, il se met en tête de déserter et de s'exiler en Chine. En juin 1997, il passe clandestinement la frontière. Et se terre en Chine pendant de longs mois. Mais lors d'une descente de la police chinoise, qui pourchasse les réfugiés nord-coréens, il est arrêté et aussitôt rapatrié de force en Corée du Nord, vers une mort probable... Informateur. Est-ce parce qu'il est issu des rangs de l'armée ? Mister Lee échappe au peloton d'exécution. Sa punition, pour autant, ne tarde pas. Après avoir prêté serment de loyauté au régime, le 11e centre de commandement de défense de l'armée nord-coréenne lui intime l'ordre de regagner la Chine, cette fois en qualité d'informateur. Sa mission : infiltrer les groupes d'opposants à la Corée du Nord ­ parfois financés par la Corée du Sud ­ actifs en Chine. Lee obtempère. Sans doute n'a-t-il pas le choix : il se doute, ou alors lui fait-on probablement savoir, que le sort de sa famille est dès lors lié au sien. On lui donne de l'argent et le numéro de code «agent 127». Mister Lee repasse la frontière. De février à novembre 2002, la nouvelle recrue des services secrets nord-coréens fait un sans faute. Comme l'a précisé la chaîne coréenne d'information YTN, Lee observe alors en territoire chinois les mouvements de Nord-Coréens fuyant leur pays, collectant des informations sur les passeurs et les filières. Associations de soutien, organisations non gouvernementales, églises et pasteurs protestants sont nombreux à aider les talbukja. Ces exilés qui ont fui à leurs risques et périls cherchent à se fondre dans la population chinoise ou tentent de gagner la Corée du Sud voire d'autres Etats, Russie, Vietnam, Thaïlande, Cambodge, Mongolie extérieure... Depuis janvier 2004, 760 nord-coréens fuyant la dictature stalinienne ont été accueillis à Séoul. D'après le ministre de l'Unification sud-coréen, «10 000 réfugiés nord-coréens pourraient gagner la Corée du Sud ces prochaines années». Un phénomène et des chiffres qui inquiètent le régime de Kim Jong-il. Transfuges. L'agent 127 travaille si bien que Pyongyang l'affecte à une nouvelle mission, plus délicate : espionner jusqu'en Corée du Sud la filière des réfugiés. Pour gagner Séoul, Mister Lee serait passé par une filière habituellement utilisée par les transfuges via l'Asie du Sud-Est. Lee débarque à Séoul en janvier 2003. Inespéré : on lui délivre la nationalité sud-coréenne et une carte d'identité. Il peut dès lors tranquillement vaquer à sa mission. C'est ainsi qu'il collecte quantité d'informations sur les réfugiés accueillis à Séoul. En particulier sur le centre d'interrogatoire des transfuges, aux mains des services secrets sud-coréens, placé sous vidéo surveillance et gardé par un impressionnant cordon de sécurité. Lee accède aussi aux adresses de la filière. Il passe du temps au Hanawon, le Centre d'intégration des réfugiés, où les nouveaux venus nord-coréens apprennent à s'adapter à la vie en pays capitaliste. L'agent 127 se livre à ce manège durant un an et trois mois. En avril dernier, muni d'un passeport sud-coréen, il retourne sans encombre en Chine. D'où il regagne la Corée du Nord. De l'autre côté de la frontière, il remet son rapport à un officier de l'Agence pour la sécurité de l'Etat de Corée du Nord (sic). De source sud-coréenne, Lee aurait alors été emmené à Sinuiji, près de la frontière chinoise, où il aurait perfectionné durant dix jours ses connaissances en techniques d'espionnage (codage, télécommunications). Cas de conscience. Chargé d'une énième mission en Corée du Sud (infiltrer l'une des associations aidant les réfugiés), Lee regagne Séoul le 19 mai. A son arrivée à l'aéroport d'Incheon, il fait savoir à un Nord-Coréen établi en Chine (son agent traitant ?) qu'il est «bien arrivé». Les jours suivants, Lee se serait senti surveillé. Panique-t-il ? Toujours est-il que deux semaines plus tard à peine, l'agent 127 capitule et se rend aux autorités sud-coréennes. Cette affaire semble poser aux autorités militaires et judiciaires du Sud un cas de conscience rare. Car si l'agent 127 est bel et bien un espion, il n'en était pas moins, à l'origine, un dissident fuyant la dictature nord-coréenne.